Instructions pour la lecture du quatrième livre

(p. 93-116)

Le quatrième livre décrit, lui aussi, l’histoire de son époque. Il s’agit du circa te, ce qui est autour de toi, donc de l’entourage immédiat du Pape.

Comme vous pouvez le voir facilement en le feuilletant, la structure du livre est simple et claire. Bernard discute le problème en trois cercles concentriques, pour ainsi dire de l’extérieur vers l’intérieur :

1.      Tout d’abord il décrit le voisinage lointain : les habitants de la ville de Rome et les visiteurs quotidiens qui en proviennent.

2.      Ensuite le « cercle moyen » : les collaborateurs dans la conduite de l’Eglise, les légats, les cardinaux etc.

3.      Enfin il en vient à parler du « cercle familial » du Pape ; ceux qui partagent sa maison et ceux qui assurent le service du palais papal.

 

Après une introduction exposant les raisons pour lesquelles le Pape doit accorder une attention spéciale à son entourage immédiat, Bernard en vient à parler avec vigueur sur la situation de la ville de Rome.

 

 

1) « Les mœurs du clergé romain et du peuple …» jusqu’à  « prêche leur par ta propre vie » (IV.2-8 ; p. 94-101)

 

L’appréciation pessimiste de la situation et la critique acerbe sont frappantes, ce qui ne peut se comprendre dans son acuité qu’à la lumière des circonstances de l’époque (voir à ce sujet les informations données par la suite concernant l’arrière-plan )

Quant au contenu, il s’agit ici d’un état de choses, Dieu merci, passées depuis longtemps. Suivant les vues de saint Bernard le Pape est dans une situation très difficile car il est attaqué de deux côtés représentant des positions opposées :

·        D’une part il doit s’en sortir avec un peuple monté contre lui et attaché à des idées révolutionnaires qui veulent soustraire ses fondements terrestres à sa charge. Cela ne résulte pas toutefois, pour la grande majorité, d’une conviction ou d’un intérêt pour la religion, mais d’un calcul pour obtenir plus d’autonomie et de liberté et pouvoir réaliser leurs propres plans sans plus d’entraves.

·        D’autre part, face au peuple se trouvent les collaborateurs de l’Eglise et de la Curie habitués à mener un train de vie élevé et très attachés à ce que le Pape vive lui aussi comme un prince. Pour eux, comme nous l’avons déjà vu pour les appels en justice, il est également important que toute la bureaucratie compliquée, leur raison de vivre et leur source de profit, puisse s’épanouir et s’étendre et que la centralisation de l’Eglise, dont ils tirent leur puissance et leur situation, ne soit évidemment pas limitée.

 

Il faut juger les conseils de saint Bernard au Pape en fonction de cet arrière-fond :

·        Comment jugez-vous ses propositions sur la manière de se comporter à l’égard du peuple ? Sur l’attitude avec son entourage ?

·        Quels procédés utilise-t-il pour donner à sa argumentation plus d’insistance ?

 

Si ces chapitres nous sont pour une grande part très inhabituels, ils m’ont cependant touchée en les lisant. Le Pape est placé, suivant l’avis de Bernard, dans une situation sans issue à vue humaine. L’abbé de Clairvaux est réaliste, et simultanément il a une foi profonde. Je crois, qu’il peut nous donner à nous aussi une aide spirituelle précieuse à travers ces lignes.

 

·        Suggestion : Quelles paroles de Bernard peuvent être utiles selon vous pour des situations sans issue à vue humaine ?

·        Les pensées de l’auteur s’accordent-elles avec votre propre expérience en pareille situation ?

·        Donneriez-vous des conseils semblables ou tout à fait différents ?

 

Je désire encore ajouter quelques explications sur le paragraphe 7. Bernard parle ici des deux glaives, le glaive spirituel et le glaive temporel. Il fait ici allusion à une interprétation médiévale du passage biblique Lc 22, 38, connue dans l’histoire des idées sous le nom de « théorie des deux glaives. » Elle a été utilisée au Moyen Age dans différentes discussions tant par les autorités temporelles que spirituelles et joua un rôle également dans la Querelle des investitures. Son emploi par le pape Boniface VIII dans la bulle Unam sanctam (1302) est connu. Par ses paroles brèves sur les deux glaives Bernard a transmis dans le De consideratione une interprétation spirituelle qui a exercé une nouvelle influence sur la postérité. Selon lui, si belliqueuse que puisse être l’expression, le glaive spirituel n’est pas en premier lieu la « violence » spirituelle, mais la parole de Dieu. Pour Bernard, il ne s’agit pas non plus que le Pape doive exercer sa puissance avec le « glaive », mais il doit annoncer sans crainte l’Evangile qui est plus coupant qu’un glaive à deux tranchants (voir à ce sujet l’emploi de l’image du glaive dans le De consideratione III, 1)

La conception, suivant laquelle les puissances séculières doivent tirer le glaive temporel sur un signe de l’Eglise, fut utilisée plus tard lors des procédures ecclésiastiques de l’Inquisition ;  l’exécution du jugement était alors confiée aux puissances séculières. Bernard lui-même aura pensé ici dans ses paroles davantage aux croisades et à l’aide de l’Empereur et d’autres souverains comme protecteurs de l’Eglise. (voir à ce sujet la lettre 244)

Aujourd’hui personne n’approuverait plus une telle interprétation de Lc 22, 38, tant d’un point de vue exégétique que théologique.

 

 

2) Les collaborateurs (IV, 9-16 ; p. 102-109)

Dans ce long chapitre Bernard dit ce qu’il pense d’important, selon lui, pour le choix des collaborateurs du pape. Ce sont ses collaterales (du latin latus, côté)

De par sa longue expérience, il avertit le Pape des nombreux pièges (je crois qu’ils sont de toujours sous d’autres formes) et donne toute une liste de critères.

Je vous propose de faire attention au cours de la lecture aux points de vue présentés par Bernard et ensuite de vous faire une opinion sur les questions suivantes :

·        Les critères de choix de Bernard sont-ils encore valables aujourd’hui comme « profil » pour des collaborateurs de l’Eglise à des postes de responsabilité ?

·        A quoi attacheriez-vous une valeur particulière ?

·        Que changeriez-vous ou qu’ajouteriez-vous ?

J’ai l’impression que plusieurs pensées de Bernard dans ce chapitre sont précisément prophétiques et n’ont été mises vraiment en pratique qu’à notre époque.

 

Faites attention s’il vous plait aussi ici dans ce chapitre aride à l’art de la représentation chez Bernard : Il donne sans cesse des exemples pratiques pour illustrer sa pensée et il ajoute habilement de temps en temps un mot de l’Ecriture offrant un exemple saisissant de contraste.

 

Dans le paragraphe 16 quelque peu énigmatique, il s’agit de querelles de rang entre les cardinaux. Dans l’Introduction j’ai signalé que les cardinaux-diacres ne furent placés au même niveau que les cardinaux-prêtres et les cardinaux-évêques qu’au XIIe siècle. Cela ne se passa évidemment pas sans tensions. Bernard y fait allusion et faites encore attention à la fin à l’exemple biblique en contraste.

 

 

3) Ceux qui partagent la maison du Pape (IV, 17 – 22 ; p. 109-115)

Avec une remarque expressive et plaisante « Nous avons maintenant assez de la Curie » Bernard passe au cercle familial le plus étroit du Pape.

Il s’agit ici d’un domaine pour lequel Bernard donne deux conseils apparemment opposés l’un à l’autre :

·        L’aspect matériel de la gestion de la maison (IV, 17-20 ; p. 109-113) : Ici le Pape peut réaliser selon Bernard ce qu’il a écrit lui-même à la fin du premier livre : « Tu gagneras une masse considérable de temps libre pour la considération si tu délègues pas mal de choses à d’autres. » Ses conseils aux paragraphes 18-20 montrent chez Bernard un grand don d’observation et une bonne connaissance des hommes. Son principe : l’administrateur doit gérer la maison « pour toi » et non « avec toi », pourrait se trouver dans un ouvrage moderne pour dirigeants, tout comme ses réflexions pratiques en faveur d’une délégation efficace.

Portez votre attention sur la parole de l’Ecriture qui sous-tend les réflexions : il s’agit de celle concernant le serviteur fidèle et avisé.

Comme toujours Bernard use ici de divers registres de son art d’écrivain pour rendre ses réflexions concrètes et plaisantes : Satire, ironie…, et ensuite à nouveau une citation de l’Ecriture là où il convient, par exemple au paragraphe 20 : « Pourquoi ne préférez-vous pas subir un tort ? » L’arrière-plan dans la première lettre aux Corinthiens exprime très clairement ce que pense Bernard.

Avez-vous été frappés par le fait que l’auteur passe tout à coup au paragraphe 20 de l’adresse en forme de discours au « nous » ? Il me semble que Bernard fait cela quand il doit aborder des points critiques particulièrement délicats (voir par exemple dans le troisième livre, paragraphe 5) Les critiques résonnent moins durement quand celui qui parle ne s’exclut pas lui-même. Peut-être Bernard veut-il aussi suggérer que le lecteur doit lui aussi se poser la question, ou bien qu’il y a là des dangers qui peuvent atteindre chacun de nous ?

 

·        Le comportement et l’attitude de ceux qui partagent sa maison (IV, 21-22 ; p. 113-115) : Ici s’applique selon Bernard exactement le contraire de ce qui a été dit à l’instant : le Pape ne doit pas y être indifférent, pour ne pas donner un mauvais exemple et faire jaser.

Ø      Comment jugez-vous ses suggestions pratiques au paragraphe 22 ? Aimeriez-vous être un tel administrateur ? Ou bien souligneriez-vous d’autres points ?

 

Contrairement aux livres précédents le quatrième livre a un épilogue (IV, 23 ; p. 115-116).

Probablement parce que c’est là que s’achèvent les explications pratiques, afin d’orienter le regard du lecteur dans le dernier livre vers en-haut, vers les biens éternels.

Bernard dessine ici en résumé un portrait pontifical avec une liste exhaustive d’expressions.

·        Quelles indications conviennent à une image du Pape, tel que vous le voyez ?

·        Quelles sont celles qui, selon vous, sont dépassées ? Ou simplement inapplicables aujourd’hui ?

·        Il serait sûrement intéressant d’échanger sur le dernier point. Pour cela chaque participant pourrait choisir cinq titres qui lui semblent pertinents et les écrire sur cinq morceaux de papier, et de la même manière cinq autres, qu’il juge moins convenables  sur cinq morceaux de papier d’une autre couleur. Qu’est-ce que cela donne-t-il comme image sur ce que doit être le Pape, et comme contre-image sur ce qu’il ne doit pas être ? Est-ce qu’il y a un accord ou les opinions sont-elles différentes ?