17,1
Cours 17 -- voir fin
Le
XVIIIeme
Avec le XVIIIe, nous entrons
finalement dans la période la plus difficile pour l’Ordre, avec la Révolution
française, l’assaut du joséphisme contre les monastères d’Autriche, et nous
nous acheminerons vers la sécularisation générale des monastères au XIXe.
En 1790, Cîteaux n’existe plus, d’où
disparition du CG, de l’Abbé Général, et une situation juridique totalement
confuse.
Quant à la spiritualité, pendant
tout le XVIIIe elle reste fort sous l’influence de La Trappe et des
écrits de Rancé, très lus ; son second successeur, Dom Gervaise († 1751) a lui aussi
beaucoup écrit.
Etat
de l’Ordre au XVIIIe :
Au XVIIIe, on peut parler
d’une "survie". Les effectifs sont très peu nombreux, et mises à part
quelques abbayes réformées, la plupart périclitent, faute d’une vie spirituelle
profonde et vraie. En 1782, Dom François Trouvé, abbé de Cîteaux, dans une
lettre circulaire, veut remédier aux absences à l’office, à l’abandon de
l’habit, aux sorties trop fréquentes, à l’omission des Visites Régulières et
aux recours à la justice du roi ; cela en dit long sur la vie au XVIIIe.
Il faut dire aussi, qu’outre les effets de la commende, il y a également le
fait que les vocations forcées sont nombreuses.[1]
Néanmoins, par un sursaut de vie,
plusieurs abbayes tentent des reconstructions, au goût du jour, par exemple à
Clairvaux et à Cîteaux ; mais souvent le manque de ressources financières puis
le début de la Révolution ne permettent pas d’achever ces projets.
Hors de France le XVIIIème connaît
des restaurations baroques importantes, surtout en Espagne[2]
et en Allemagne, Autriche. Mais qui dit époque baroque, dit aussi des goûts et
des intérêts peut-être loin de l’idéal primitif[3].
Néanmoins,
le début du XVIIIème voit un renouveau en Hongrie, Pologne, dans les Flandres
et au Portugal.
17,2
Le CG ne se réunit que 7 fois au
XVIIIe, en raison des guerres, et ne regroupe que très peu d’abbés.
Résultat : l’autorité suprême de l’Ordre paraît se concentrer, non en droit
mais en fait, entre les mains de l’Abbé de Cîteaux, qui prend l’habitude de
décider par lui-même, de la plupart des affaires. Son autorité, s’accroissant
au-dessus de celle du CG, est combattue, en contrepoids !, par les 4 premiers
Pères !! - conflit qui ne fait que s’élargir. Cette querelle continuelle, et
aussi l’ingérence des commissaires royaux qui y assistent à partir de 1768,
entravent d’autant l’efficacité des CG.
Une décision importante est prise en
1738[4]
: on désigne des maisons de noviciat, dans chaque observance.
Rapport
avec le pouvoir séculier :
·
Le gouvernement de Louis XV met en place une Commission des Réguliers en
1766, pour la réforme des religieux...à laquelle aucun moine ne peut participer
; elle est présidée par l’archevêque de Reims. Les évêques se prononcent contre
les Cisterciens, dont la plupart des monastères sont décadents[5].
On ordonne de fermer des maisons
ayant moins de 10 religieux, mais notre Ordre est épargné à ce niveau[6],
sans doute en raison de l’importance et de la dimension internationale de l’Ordre.
Avec cette Commission, on s’achemine
vers la suppression des religieux.
·
Le Joséphisme : c’est le principe[7]
selon lequel les souverains, affranchis de l’autorité pontificale, réglementent
eux-mêmes la discipline intérieure de l’Eglise dans leurs états. Joseph II
interdit aux communautés tout rapport avec des supérieurs étrangers ; les
abbayes de Belgique durent constituer une province belge indépendante. Il finit
par dissoudre tous les ordres contemplatifs ; il a en horreur les moines, qu’il
considère comme des inutiles.
En Allemagne, la sécularisation par
Joseph II a pour effet la suppression des communautés de moniales, à
l’exception de celles qui se consacrent à l’enseignement et au soin des
malades.
17,3
La
Révolution française :
Voici d’abord quelques chiffres, à
la veille de la Révolution :
Il
y a en tout 237 monastères d’hommes:
·
173 : Commune observance
·
64 : Etroite Observance, dont 2 réformés : La Trappe et Sept-Fons
Il
y a en outre 100 à 105 monastères de moniales, nous n’avons pas de statistiques
précises ; on dit que leurs monastères sont plus peuplés que chez les moines et
qu’elles sont plus ferventes.
·
Commune observance : 26 monastères seulement ont 10
moines ou plus ; Cîteaux en a 55; sur les 147 autres qui ont moins de 10 moines,
14 n’en ont qu’un !
·Etroite
Observance : 18 abbayes ont 10 moines ou plus, La Trappe en a 91,
Sept-Fons 70[8] ; sur les 46
autres ayant moins de 10 moines, une seule n’en a qu’un !
Donc en tout, l’ensemble est
médiocre, 9 monastères seulement ont un effectif normal ; en deçà de 10 moines,
il est difficile de songer à une authentique vie monastique dans des bâtiments
devenus trop vastes.
Le 13 février 1790, l’Assemblée
Constituante supprime les ordres religieux à voeux solennels, notre Ordre est
supprimé pour cause d’inutilité. Il semble que le déclic pour la suppression de
la vie religieuse soit d’ordre économique : l’Etat n’a plus d’argent, il veut
donc en prendre là où il pense qu’il y en a; en effet un grand nombre de terres
appartiennent aux religieux.
De mars à juin, on fait l’inventaire
dans tous les monastères, avec interrogatoires d’identité. Ceux qui veulent
rester dans la vie religieuse sont regroupés dans des maisons, où on leur rend
la vie impossible ; beaucoup retournent dans le monde, ou dans leurs familles.
Les bâtiments sont confisqués et vendus.
Les moniales sont un peu épargnées,
et elles se montrent plus fidèles ; pas une abbaye de moniales ne fait
défection ; la très grande majorité des moniales reste fidèle, à l’exemple de
Flines (dans le nord) : toutes, elles sont 95 professes, déclarent vouloir
vivre et mourir sous leur saint habit, fidèles aux devoirs qu’elles ont
librement embrassés et dont l’accomplissement fait leur bonheur. Deux
cisterciennes sont parmi les 32 martyres d’Orange, qui refusent de prêter
serment.[9]
On
permet aux religieux de La Trappe de rester sur place, mais avec interdiction
de recevoir des postulants. Les Trappistes n’auraient pas survécu à la
Révolution, si Dom Augustin de Lestrange, maître des novices, n’avait emmené,
sans plus tarder, 24 moines en Suisse. Cette initiative assura la permanence du
monachisme pendant la Révolution (cf. cours suivant).
17,4
C’est le 4 mai 1791 que Cîteaux est
vendue aux enchères[10].
Les abbayes sont supprimées dans les pays voisins de la France aussi, avec
l’avancée des armées révolutionnaires puis de celles de Napoléon ; la plupart
de celles de Haute-Allemagne disparaîtront au début du XIXe.
Il y a des apostats, mais aussi des
martyrs, par exemple sur les pontons de Rochefort : tel est le cas de nos
cisterciens récemment béatifiés[11]
(cf. document annexe).
Mais
terminons sur un exemple positif, celui de La Trappe, puisque c’est de là que
la vie cistercienne va pouvoir survivre à la Révolution, comme nous le verrons
au cours suivant. Tout en reprenant une à une toutes les observances
traditionnelles dans l’Ordre (abstinence, jeûne, veilles, coucher sur la dure,
stricte clôture, silence rigoureux, vie commune, pauvreté personnelle, travail
manuel, chapitre des coulpes, etc.) Rancé sut, par sa prudence et son exemple,
autant que par son enseignement puisé aux Pères du monachisme, donner une âme à
sa communauté, réaliser un authentique renouveau spirituel, visant à ramener la
vie monastique à l’unique recherche de Dieu et ses moines à n’être que moines.
Ainsi magistralement réformée, La Trappe est-elle restée tout au long du XVIIIe
un haut lieu monastique des plus fervents et des plus fréquentés, un foyer de
vie contemplative rayonnant à travers la France et même au-delà des frontières
et qui, par ses exigences mêmes, attirait les postulants de façon
exceptionnelle pour l’époque. En janvier 1790, il y a 103 profès et 6 novices.[12]
*
* *
Questions possibles
Consulter Cîteaux 1989,
t.40 p.376, sur La Trappe face à la Révolution
[1] A propos de commende dans les abbayes
de moniales, cf. De la croix Bouton, vol II sur les moniales p.145, sur le
cérémonial à l’arrivée d’une abbesse nommée à Maubuisson
[2] cf. Arte de Císter en Galicia y
Portugal
[3] Nombreuses festivités
musicales dans les abbatiales, y compris avec orchestre (c’est l’époque de
Haydn) ; collections biologiques, zoologiques et d’oeuvres d’art ;
observatoires d’astronomie ; on dit que cela ne contredisait en rien la
vie d’ascèse des moines...
[4] A ce même CG de 1738, 27 numéros sont
consacrés aux moniales, ce qui montre qu’elles aussi ont besoin d’être
rappelées à l’ordre...avec toujours les mêmes problèmes de clôture, de
pauvreté, de vêtement. Mais les fantaisies vestimentaires ne leur sont pas
propres: le même CG (n°157) interdit aux moines les robes courtes, et l’on sait
(CG de 1787 n°10) que certains portent des cheveux frisés et poudrés, qui ne
leur permettent plus de se couvrir de leur capuce.
[5] Le rapporteur général de cette
Commission, Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, dit dans une enquête:
« Les
Cisterciens sont profondément décadents, à la seule exception des 2 réformes de
La Trappe et de Sept-Fons, et de quelques rares maisons; [avec La Trappe et
Sept-Fons, seules La Charmoye, Bonneval, et Clairmarais reçoivent des éloges.]
Cîteaux n’est plus qu’une affaire temporelle, encore très puissante et riche
matériellement, mais cette richesse est elle-même en train de péricliter à
raison de l’absence croissante d’une vie spirituelle profonde et vraie. »
[6] Pourtant, 2/3 de nos maisons en France
étaient dans ce cas. En 1768 il y a 228 monastères de moines pour 1851 moines,
soit 8 en moyenne; 75 maisons avaient moins de 5 membres!
[7] Il tire son nom de Joseph II
(1780-1790), d’Allemagne, qui l’a fort appliqué.
[8] Comme beaucoup
d’autres, Sept-Fons devra renvoyer des novices (15 sur 36 en 1790), par manque
d’argent.
[9] Dict Catholicisme tome 10, à Orange (Les 32 martyres d’)
[10] C’est en 1808 que
Clairvaux deviendra une prison.
[11] Ils sont fêtés le 18
août ; dans Liturgie n°102 p.278 : récit de leur béatification le 1er
octobre 1995 par Jean-Paul II ; célébration à la Trappe ;
notices ; oraison de leur mémoire.
[12] cf. la pyramide des âges in Cîteaux
1989 p.380
Tout cet article sur La Trappe face à la Révolution est très
intéressant et très bien fait, avec cartes, chiffres, notices sur chacun des
frères.