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Cours 19

Le XIXe siècle

 

1794-1847

 

            Le XIXe siècle marque la résurrection des Trappistes[1], avec une expansion considérable, comme nous le verrons à la fin du cours suivant. Mais c’est aussi une période charnière et douloureuse, avec le problème des relations entre monastères, la question des congrégations et observances.

            De 1794 à 1892, l’Ordre va complètement changer de visage. Nous l’étudierons en 2 parties.

            La première moitié du XIXe est une période très confuse au niveau juridique ; la situation est complexe : l’Ordre en tant que tel n’existe plus, il est privé d’autorité suprême, de maison-mère, et de toute organisation centrale. Nous irons de 1794 à 1847, 2 dates clefs, comme nous le verrons.

 

            C’est en effet en 1794 qu’a lieu l’érection officielle de La Valsainte en abbaye, et qui fonctionne comme une entité propre. Le st Siège lui reconnaît des droits sur d’éventuelles fondations ayant la même observance ; mais ces fondations n’ayant pu être érigées en maisons autonomes, Dom Augustin en est juridiquement non pas le Père Immédiat, mais tout simplement l’abbé ; il agit alors comme supérieur général d’une congrégation centralisée, même si cela n’a pas été officiellement reconnu comme tel.

            Or en 1808, Darfeld se soustrait à la juridiction de La Valsainte, devenant à son tour abbaye de droit sur une filiation ; en 1814 cette abbaye abandonne les Règlements de Dom Augustin pour ceux de Rancé.

            Nous voici donc en présence de 2 observances chez les Trappistes :

· l’observance de La Valsainte, ou lestrangiste (pour La Trappe et sa filiation)

· l’observance fidèle à Rancé, ou rancéenne.

            Les divergences se renforcent en 1816, quand des religieux redonnent vie à Port du Salut, et se déclarent rancéens.

            Pour avoir une idée du paysage cistercien de l’époque, il faut aussi évoquer les nombreuses suppressions, en France, et dans beaucoup de pays, du fait de la sécularisation en masse, en Allemagne (1803), en Silésie[2], au Portugal, en Espagne (1830), en Suisse (1846), en Italie (1870).

 

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Cependant, des monastères de moniales arrivent à subsister dans ces 3 derniers pays, assurant ainsi la continuité de la spiritualité de Cîteaux ; en 1854 en Espagne par exemple, il y a encore 54 monastères de moniales[3].

            De plus, la vie monastique réapparaît en Grande-Bretagne, et surgit en Amérique du Nord. En France, seuls vraiment les Trappistes réussiront à se réorganiser suite à la sécularisation, et multiplient les fondations, grâce à l’apport d’un grand nombre de vocations. On peut dire que l’Etroite Observance non-trappiste disparaît avec la Révolution.

            Il faut dire aussi un mot des congrégations anciennes et nouvelles :

· De la Congrégation de Haute-Allemagne ne restaient que 3 monastères, situés en Suisse, dont Hauterive ; en 1854, elle devient la Congrégation de Suisse (ou de Mehrerau) ; elle comptera aussi 8 monastères de moniales en 1891.

· Des anciennes congrégations italiennes, Casamari revient à la vie, et est placée sous la juridiction directe du st Siège. Elle donne naissance à la Congrégation italienne de st Bernard en 1820 ; en Italie, il y a en outre 14 monastères de moniales de la Commune observance.

· En 1859 naît la Congrégation austro-hongroise ; les 14 abbayes peuvent continuer dans ces 2 pays, à la condition de s’adjoindre des collèges, à Zirc en Hongrie, par exemple ; c’est aussi le cas pour quelques monastères de moniales.

 

            Vue la complexité et la diversité des situations, personne ne pouvait prendre la tête d’un mouvement de réorganisation...sauf peut-être Dom Augustin, si son autoritarisme eût été moins notoire.

            Le mouvement partit donc de Rome, qui aurait voulu plus d’unité entre tout ce monde !, sous l’impulsion du pape Pie VII ; il confère au président de la Congrégation italienne de st Bernard les droits d’un abbé général de tout l’Ordre de Cîteaux, et lui donne le titre de président général. Dom Joseph Fontana, élu en 1825, essaie d’étendre son influence concrète à la Congrégation de Suisse, en vain.

            Les filiations trappistes, quant à elles, seraient sous la présidence de vicaires généraux, qui en principe devaient être soumis aussi à ce président général.

 

            A la mort de Dom Augustin en 1827, le st Siège nomme un supérieur général de la filiation de La Trappe en France : Dom Antoine Saulnier de Beauregard, abbé de Melleray. Il est chargé de visiter tous les monastères et d’adresser un compte-rendu au st Siège ; il fait fermer 2 maisons du tiers-ordre qui existaient encore. Il adoucit les Règlements de La Valsainte pour les moniales, en raison de la forte mortalité.

 

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            En 1830, c’est « la Révolution de juillet », avec un net anticléricalisme les années qui suivent ; plusieurs monastères en souffrent, par exemple seuls 30 moines sur 175 peuvent rester à Melleray ; mais la dispersion permet de fonder Mont-Melleray (en Irlande, 1832) et Mont-st-Bernard (en Angleterre 1835).

            Dom Antoine meurt en septembre 1834 ; en octobre 1834, la Sacrée Congrégation des Evêques et Réguliers, qui veut vraiment forcer l’unité, redonne d’une certaine façon une union juridique aux Trappistes, en faisant paraître un décret d’érection, approuvé par le pape Grégoire XVI, d’une Congrégation de La Trappe, qui réunit les 2 observances existant en France ; elle est soumise au président général de l’Ordre cistercien. A sa tête, il y a un vicaire général, l’abbé de La Trappe. Les 4 premiers Pères sont : Melleray, Port du salut, Bellefontaine, le Gard. Chaque monastère pouvait choisir entre les 2 observances (celle de Rancé ou celle de La Valsainte), d’où des conflits à l’intérieur des communautés ; de plus, bien que les monastères étaient exempts, ils restaient sous la juridiction des évêques !, d’où des conflits avec les évêques également. Les moniales quant à elles, ne sont pas exemptes.

            A côté de cette Congrégation française, une autre vient d’être érigée en Belgique ; elle existera comme telle jusqu’en 1892 : La Congrégation de Westmalle (ou congrégation belge, issue de Darfeld ; elle est d’observance rancéenne). En font partie les monastères d’Oelenberg, Mont des Cats, et chez les femmes : Laval, Oelenberg (qui deviendra Altbronn).

            Le premier CG de la Congrégation de La Trappe se tient du 24 mai 1835 au 7 juillet (60 sessions) : il s’agit d’élaborer de nouvelles constitutions ; en fait, l’abbé de La Trappe, Dom Marie-Joseph Hercelin, avait rédigé d’avance des Règlements[4], qui durent tous être adoptés, malgré les oppositions !...d’où l’aggravation du malaise entre les 2 observances. Entre lestrangistes et rancéens, l’union est remise en cause. Rome alors suspend les voeux solennels en 1837 et Visites Régulières et CG en 1844 !

En 1847, retournement ahurissant, Pie IX établit 2 congrégations : la scission est consommée entre les 2 observances trappistes[5] :

1. La Congrégation de La Trappe (ou Nouvelle Réforme, lestrangiste, appelée aussi observance de st Benoît) ; au début, elle ne compte que 5 abbayes d’hommes et 5 de femmes ; mais elle s’accroît vite et en 1847 elle est internationale. On y trouve les monastères de Melleray, Bellefontaine, Aiguebelle, Bricquebec - qui oscille entre cette congrégation et la suivante !-, en 1848 : Staoueli, en 1849 : Gethsemani et New Melleray. Chez les moniales, qui suivent leur Père Immédiat : Les Gardes, Lyon-Vaise, Mondaye, Stapehill.

 

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Hors de France, il y a des Trappistes au Petit-Clairvaux (Canada) et à ste Suzanne (Espagne) qui disparaîtra en 1835. Dans cette congrégation, les CG sont en français dès 1847.

2. La Congrégation de Sept-Fons (Ancienne Réforme, rancéenne) ; en 1847, elle a 8 maisons, dont 3 de moniales.

 

            Rappelons qu’il y a une troisième congrégation trappiste, mais hors de France, en Belgique, comme nous venons de le voir, et il y a aussi Casamari, plus isolé, qui s’appuie directement sur le St Siège ; donc en tout, 4 groupes autonomes d’abbayes cisterciennes.

 

            Le Président Général de l’Ordre de Cîteaux, l’abbé de st Bernard aux Thermes à Rome, devait être le chef suprême de ces congrégations ; chacune aurait un vicaire général (l’abbé de La Trappe pour n°1 ; la n°2 l’élisait tous les 5 ans) et un CG ; le premier CG a lieu dès mai 1847 à La Trappe pour n°1 et à Sept-Fons pour n°2.

            Les monastères hors de France se trouvaient réunis dans l’une ou dans l’autre selon leur maison-mère.

 

 

*  *  *


Annexe

 

Que se passe-t-il à Cîteaux au XIXème siècle ?

Suite à la Révolution française, Cîteaux est vendu en mars 1791, et une destruction systématique commence ; en 1807, il n’y a plus d’église.

En même temps, on restaure certains bâtiments pour y mener la vie de château : la bibliothèque par exemple devient un théâtre de 500 places.

En 1820, on installe une sucrerie.

En septembre 1841, Cîteaux est vendu à Arthur Young qui veut mettre en place un phalanstère en suivant les principes de Charles Fourier, aventure qui se termine vite en débâcle.

Cîteaux est racheté en mai 1846 par le Père Rey qui y établit une colonie agricole pénitentiaire ; il y accueillit 4000 jeunes entre 1849 et 1873[6]. (pour la suite, cf cours 20).



[1] Cf. Colloque de La Trappe sur Cîteaux et la Normandie, p.107 sur le retour des moines. Cf aussi en annexe ce qui se passe à Cîteaux au XIXème siècle

[2] En Silésie au XIXe siècle, il y a la liquidation des communautés féminines, la fermeture des noviciats, la défense aux moines d’enseigner ; on cause des dégâts à leur agriculture, leurs bâtiments sont dévastés, démolis, ou abandonnés par les moines ; on disperse leurs bibliothèques, les archives les oeuvres d’art.

Mais les cisterciens polonais ne renoncent pas à leurs activités reprises sous d’autres formes : aide pastorale, travail en paroisse et dans l’instruction publique.

Avant 1772, il y avait en Pologne 27 abbayes cisterciennes (23 d’hommes et 4 de femmes) avec en tout 689 moines ; au XIXe seuls subsistent 2 monastères de moines, dont Mogila, en zone autrichienne. =Bulletin d’Histoire Cistercienne 2,1667 ; cf. aussi Cîteaux 1988,1-2 p.157

 

[3] En 1891, il y a 41 monastères de la commune observance, et 15 de la stricte observance (=les Récollettes), soit en tout 288 religieuses.

[4] Soit un tome pour les religieux et un autre pour les convers. Le premier était composé de 1310 articles définissant l’observance monastique, et de 50 pages d’indications pratiques pour s’acquitter au mieux de ces obligations. On privilégie le détail, on accumule les recommandations, comme dans les Règlements de La Valsainte.

 

[5] "La Commune observance" elle existe surtout en Allemagne, Autriche, et dans les pays d’Europe centrale ; il s’agit d’abbayes survivantes de l’ancien Cîteaux, et qui ignorent tout des Trappistes. De plus, la défaite française de 1870 et la restauration de l’empire allemand ne sont pas pour nourrir des sentiments de sympathie entre la Commune et l’Etroite Observance.

[6] Cf in Pour une histoire monumentale de l’abbaye de Cîteaux 1096-1998 (Cîteaux Commentarii Cistercienses Studia et Documenta n.8) : Martine Plouvier : Un chantier permanent (cf pp.189-195 pour ce qui concerne ce chapitre) et Cécile Souchon :  Le phalanstère et la colonie agricole pp.196-223