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Cours 20

Le XIXème

1847-1898

 

 

1) Evolution

 

            Après la séparation de 1847, des regrets s’expriment, et on fait des démarches. En 1864, la Nouvelle Réforme (La Trappe) compte 15 monastères d’hommes (soit 1229 moines) et 6 de femmes (soit 600 moniales ; le monastère de Lyon-Vaise a à lui seul 122 moniales, et leur fondation, Maubec, 150) ; la Réforme de Rancé a 8 monastères d’hommes (482 moines) et 3 monastères de femmes (182 moniales).

            En 1868, 4 congrégations reconstituées de la Commune observance sont sous la juridiction d’un Abbé Général, Dom Théobald Césari, et Rome place tous les monastères cisterciens sous sa juridiction ; celui-ci convoque un Chapitre Général à Rome, mais sans inviter les trappistes...[1] Ces circonstances montraient la nécessité de trouver une solution.

 

En 1878, on adresse une supplique à Léon XIII : les 3 congrégations (les 2 de France et celle de Belgique) demandent à se réunir en un seul ordre sous un même Abbé Général. Mais il demeurait trop de différences d’observance et d’organisation interne.

 

            De plus, en 1880, d’autres soucis apparaissent, avec la loi contre les congrégations et les monastères expulsés[2]. Le contrecoup est habituel : on fonde à l’étranger (Espagne, Hollande, Canada - Le Lac, par Bellefontaine, pour un éventuel refuge, Slovénie, Yougoslavie - Délivrance, par Les Dombes).

 

            Le 8ème centenaire de la naissance de st Bernard (1891) est l’occasion d’un nouveau projet d’union.

 

 

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Ce centenaire est préparé par d’importants travaux sur l’Ordre, par les différents cisterciens, comme le Nomasticon[3] et l’apparition d’un périodique : la Cistercienser Chronik  (en 1889)[4]. Léon XIII souhaitait beaucoup l’union des Trappistes, comme force contre les menaces anticléricales ; il convoque à Rome le 1er octobre 1892 tous les vicaires des 4 observances : Westmalle, Sept-Fons, La Trappe et Casamari (congrégation de 3 monastères formée en 1864). Casamari refuse[5]. Tous les autres s’entendent pour former une observance autonome de cisterciens réformés, sous un Abbé Général ; le dernier jour, on l’élit : Dom Sébastien Wyart, abbé de Sept-Fons, vicaire général de l’Ancienne Réforme.

            Le décret est publié le 8 décembre 1892. Le 1er Chapitre Général de l’Ordre des Cisterciens Réformés de ND de La Trappe a lieu à Sept-Fons en septembre 1893 ; le lendemain de sa clôture, les capitulants vont à Paray-le-monial consacrer le nouvel ordre au Sacré Coeur ; il a désormais 56 monastères d’hommes (=2929 moines) et 14 monastères de moniales.[6]

Rappel : au XIXe, il y aura donc eu 4 congrégations trappistes, avec chacune ses CG et ses actes :

· La Congrégation de France : 1834-1847

· La Congrégation de Westmalle : 1836-1892

· La Congrégation de La Trappe : 1847-1892

· La Congrégation de Sept-Fons : 1847-1892

 

            Après 1892, les cisterciens réformés s’efforcent de retrouver la vie des cisterciens du XIe et abandonnent peu à peu les coutumes de Rancé. Les 1ères constitutions sont approuvées en 1894, et la subordination des maisons est arrangée selon la filiation, pour renouer avec la Charte de Charité. En 1896, via Rome, le Chapitre Général de l’OCR propose la réunification avec les autres cisterciens, sur la base de ces constitutions fraîchement renées ; mais concrètement, ce serait en fait une absorption de tous les cisterciens par les Trappistes, ils rencontrent donc un refus.

            On se cherche aussi une maison-mère, où Dom Sébastien serait abbé, et où se tiendraient les Chapitres Généraux. En 1896, Mgr Oury, évêque de Dijon, signale que Cîteaux est en vente ; après des difficultés, on arrive à l’acquérir, et le 2 octobre 1898 des religieux de Sept-Fons, Melleray, Timadeuc, Scourmont et Chambarand redonnent vie à Cîteaux, avec Dom Sébastien comme abbé. Dom Chautard a beaucoup fait pour arriver à ce résultat.[7]

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A partir de 1898, le CG se tient chaque année à Cîteaux, bien que Rome soit la résidence de l’Abbé Général, assisté des définiteurs.

            Le nom de La Trappe n’a plus de raison d’être : dans la Lettre apostolique du 30 juillet 1902, « Non mediocri »[8], Léon XIII l’appelle « L’Ordre des Cisterciens Réformés ou de la Stricte observance » ; il dit que "l’Abbé Général et les autres abbés de l’Etroite Observance sont et demeurent de vrais disciples de la même famille cistercienne[9] ; tout comme l’Abbé Général et les autres abbés de la Commune Observance, ils usent, possèdent et jouissent, sans la moindre différence, de tous les privilèges, indulgences, facultés, prérogatives et indults, qui ont été concédés à ladite famille cistercienne."

            Néanmoins, de temps en temps s’exprime la nostalgie du retour à l’unité de toute la grande famille cistercienne ; nous l’avons senti tout spécialement à la veille de célébrer le 9ème centenaire de la fondation de Cîteaux.

 

2) Expansion

            Cette expansion, dans un contexte beaucoup moins favorable qu’aux origines, pose de graves problèmes économiques. Le travail agricole doit être complété ou remplacé, par des industries de transformation, alimentaires, de boissons, de fromages, ou autres (imprimerie).

            Il y a 2 différences par rapport à l’origine :

· le contexte social étant autre, le monachisme ne peut plus être une institution ayant un pouvoir, une influence, des richesses foncières.

· on fonde outre-mer[10] ; l’Ordre n’a jamais eu le souci de fonder en Amérique ; c’est grâce à la Révolution qu’on entre dans le « Nouveau Monde » ; les premières raisons sont pour y trouver refuge en cas de nouvelle hostilité[11].

 

            Puis on fonde en Afrique, Asie, Océanie, en raison de l’afflux des vocations, les circonstances politiques et le souci apostolique ; les fondations sont nombreuses et lointaines ; voici un aperçu :

 

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En Amérique[12]

            Le Petit-Clairvaux, au Canada, est fondé grâce au Père Vincent de Paul Merle, qui rate son bateau de retour !, le monastère sera renfloué par St Sixte en 1857 ;

Gethsémani est fondé par 43 moines ( !) venant de Melleray en 1848.

            Aiguebelle fait une tentative au Mexique en 1881, la même année, Bellefontaine fonde Le Lac au Canada ; et 10 ans après Le Lac fonde Mistassini.

En Afrique

            En 1843, Aiguebelle fonde Staouéli en Algérie : c’est le premier établissement cistercien en Afrique ; il sera fermé en 1954.

            Mariastern fonde Marianhill en Afrique du sud en 1882 ; mais les activités missionnaires l’emportent peu à peu sur les exigences de la vie cistercienne, et en 1909, elle devient une congrégation missionnaire indépendante ; la même chose se produit pour une fondation de Westmalle au Congo.

En Asie

            Aiguebelle fonde ND de l’Immaculée Conception en Asie Mineure en 1848, au cas où un refuge serait nécessaire ; mais c’est trop difficile, et on ferme le monastère en 1850.

            Sept-Fons fonde en Chine en 1883, à la demande de l’évêque de Pékin : ND de Consolation, qui fonde à son tour ND du Phare au Japon en 1896[13], avec l’aide de Bricquebec. En 1897 est fondée ND des Anges (Tenshien= le jardin des anges) par Ubexy.[14]

Au Moyen Orient

            Sept-Fons fonde à El Athroun, près d’Emmaüs en 1890  : ND des Douleurs.

            Les Neiges fonde en Syrie en 1882, à Akbès, ND du Sacré Coeur, où séjourna Charles de Foucauld ; le monastère est ruiné en 1919.

En Océanie

            Sept-Fons fonde ND des Iles en Nouvelle Calédonie en 1874  ; suite à des difficultés, ils partent ensuite pour l’Australie en 1890, à ND du Sacré Coeur, supprimé en 1903.

            Les fermetures des fondations sont dues à des difficultés de climat, aux conditions de vie, à la pauvreté, au problème du gagne-pain. Les conditions sont encore plus dures pour les moniales.

            Comme nous avons pu le constater, cet essor concerne les trappistes ; la Commune observance connaîtra aussi un essor, mais au XXème.

            A la fin du XIXe, la famille cistercienne est ainsi composée : il y a environ 80 monastères d’hommes (soit 4000 moines) et 114 monastères de moniales (soit 3800 moniales) ainsi répartis :

   

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· Stricte observance : 52 monastères d’hommes (3200 moines)

20 monastères de femmes (1300 moniales)

 

·Commune observance : 6 congrégations

24 monastères d’hommes (900 moines)

96 monastères de femmes (2450 moniales)

 

· Moyenne observance :

184 moines

? moniales

            En France, la population est nombreuse dans les monastères, pour la plupart entre 60 et 75 membres, et beaucoup de convers.

 

3) Activité des Cisterciens au XIXe :

            Chez les moines :

            Aucun monastère n’ignore le travail de la terre, au moins le jardinage, et l’agriculture est très à l’honneur. Certains exploitent les forêts (Autriche, Hongrie, ND des Neiges).

            En général, la Commune observance a des collèges, des paroisses (nécessité vitale, seule condition de survie même, depuis le joséphisme), des écoles primaires, des orphelinats (Mariastern, en Bosnie). En 1859, la situation politique permet de rédiger les Statuts de Prague, qui essaient de redonner une orientation plus contemplative à une éventuelle province autonome qui regrouperait toute cette région ; mais ils ne seront jamais approuvés par Rome, et tomberont dans les oubliettes.

            La Stricte Observance a davantage de travaux manuels, des activités permettant de sauvegarder une vie contemplative. Ils cultivent la vigne, les arbres fruitiers (Gethsémani). Ils font du fromage, du chocolat (La Trappe[15], Aiguebelle, Igny), de la bière (Belgique, mais aussi Sept-Fons, Chambarand), de la liqueur (« la lérina » à Lérins), du vinaigre (Gethsémani !!!), de la musculine (Dombes).

Ils ont des scieries mécaniques, des fabriques de tuiles, de cierges (Dombes), des filatures, du tissage, des imprimeries (Lérins), des ateliers de photographie (Aiguebelle).

Sans oublier tous les moines artisans. Les Dombes a réalisé par ailleurs d’énormes travaux d’assainissement (NB, la fondation a commencé avec l’envoi de 44 religieux !).

 

            Chez les moniales :

            Les congrégations de Flines et d’Esquermes sont engagées dans l’éducation, même chose pour certaines moniales d’Espagne, pour les Récollettes en Italie, mais aussi pour Stapehill en Angleterre, les Gardes en France ; Maubec a un orphelinat, Flines a même une école normale d’institutrices.

       

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Néanmoins, l’occupation la plus fréquente reste la confection d’ornements liturgiques ; la Fille-Dieu fait des reliquaires. Certaines font aussi des broderies, des fleurs artificielles (Fille-Dieu), des coiffures ou perruques, des oiseaux artificiels. Maubec élève le ver à soie[16]. Il y a également des fabriques de confitures, de chocolat (Bonneval), des fromageries (Ubexy). La culture des jardins potagers et des champs reste traditionnelle.

           

4) Spiritualité :

            La vie monastique est centrée sur les observances et l’esprit de La Trappe. C’est une vie simple et austère, soutenue par l’enseignement oral des abbés, par la lecture des auteurs qui dominent la doctrine spirituelle du XIXe (par exemple Alphonse-Marie de Liguori) et par de nombreuses dévotions (rosaire, chemin de croix, sacré Coeur). La dévotion à la sainte Volonté de Dieu est héritée de Lestrange ; dans certains monastères, l’attention est portée à la Croix, et au souci des âmes du Purgatoire. On lit beaucoup de vies de saints.

            Pour aider la vie spirituelle, Benoît Moyne, abbé de Melleray, publie en 1869 le Directoire spirituel[17] ; il tente de donner une base spirituelle et doctrinale aux observances, en faisant appel à st Bernard et à d’autres auteurs spirituels.

            On fait peu d’études. Le seul ouvrage vraiment important paru à cette époque est le Nomasticon[18], en 1892, par Hugues Séjalon, d’Aiguebelle.

 

5) La liturgie :

            On remet à jour le Bréviaire, et on l’approuve en 1869. On fait aussi une nouvelle édition du Missel Cistercien en 1892, sur la base d’un rituel de 1689. C’est une période difficile entre les novateurs et ceux qui tenaient à la tradition, avec également le problème du mélange entre rite romain et rite cistercien.

            On restaure le chant grégorien, lors de l’organisation d’un congrès. D’où ensuite la publication du Graduel (1899), suivi au XXe de l’Antiphonaire (1903), de l’Hymnaire (1909) et du Psautier (1925).

 

 

 

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Conclusion :

           

            Pour mieux comprendre les changements d’observance, regardons une dernière fois le tableau récapitulatif.

            Il me semble que la compréhension du XIXe cistercien, avec ses richesses, ses difficultés, ses complexités, nous fait mieux saisir la suite de l’expansion au XXe ; cela nous permet aussi de sentir le poids actuel d’un désir de réunion de toute la famille cistercienne.

 

 

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Document annexe

 

 

 

Le Père Marie-Joseph Cassant

 

           

            Né à Casseneuil (diocèse d’Agen) le 6 mars 1878, il entre au monastère Sainte Marie du Désert le 5 décembre 1894, reçoit l’habit le 6 janvier suivant et est ordonné le 12 octobre 1902 par Mgr Marre ! Il meurt de tuberculose le 17 juin 1903.

           

            Très jeune, il veut être prêtre et devenir un saint.

            Il a suivi une petite voie, plus petite encore que celle de Thérèse ; dans son monastère il n’a ni charge ni emploi, il est d’intelligence médiocre, petit et sans forces physiques, mais d’une volonté tenace, volonté qu’il traduit en prenant et tenant une multitude de résolutions chaque jour, en suivant de près la RB et les CST, en obéissant à ses supérieurs.[19]

 

cf Collectanea 1937 p.302 et la suite dans 1938 p.49

                       1950 p.317

et le livre L’âme cistercienne du Père Marie-Joseph Cassant

 

 

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[1] La résurrection de la Commune observance en France est l’oeuvre d’un prêtre séculier, le P.Barnouin ; en 1855, il restaure la vie monastique à Senanque ; elle devient tête de congrégation en 1867, et fait revivre Lérins. Cette congrégation eut souvent le nom de Moyenne observance, car c’est la seule congrégation à avoir gardé un caractère purement contemplatif, avec une discipline moins austère que l’OCSO ; ils ont actuellement une maison de moniales, à Reillanne.cf BHC 2,1798. C’est en 1933 seulement que paraîtront des constitutions pour la commune observance, et en 1934, elle devient « le st Ordre de Cîteaux ».

En 1869, c’est l’ouverture de Vatican I, où en principe pour les religieux pouvaient siéger seulement les supérieurs généraux, donc personne de chez les trappistes ! Heureusement, Pie IX intervint à la dernière minute, pour permettre la présence de 2 vicaires des congrégations trappistes, ancienne et nouvelle réforme.

Sur les 19ème et 20ème siècles, cf article de Dom Olivier Quenardel in Collectanea 63,4 (2001) pp.299-314 : Le monde cistercien français de 1850 à nos jours

 

[2] Interruption de la vie monastique à Sept-Fons pendant 8 ans, par exemple.

[3] cf note 19

 

[4] La Commune observance envoie des dons pour le sanctuaire de Fontaine, mais ne vient pas.

 

[5] Elle demeurera directement soumise au st Siège. En 1929, florissante, elle s’unira au st Ordre (= maintenant Ordre de Cîteaux).

 

[6] Les autres cisterciens (940?) sont répartis en 5 congrégations

 

[7] cf. Bernard Martelet, Chautard  p. 97-103

[8] Ecrite à la demande de Dom Sébastien Wyart, pour éclairer la situation canonique de l’Ordre des Cisterciens réformés en lien avec l’Ordre de Cîteaux. Le Pape précise qu’ils sont bien et depuis toujours unis à Cîteaux et fidèles à son Abbé Général, par le biais de La Trappe, dont est issu le groupe qui a fondé La Valsainte ; et La Trappe est unie à l’Ordre depuis son affiliation en 1147, elle a embrassé l’Etroite Observance en 1664. Pour le Pape, l’Ordre des Réformés jouit d’une autonomie de convenance, il ne s’agit pas de séparation d’avec les autres Cisterciens.

 

[9] Noter l’introduction de ce concept, repris par le Pape Jean-Paul II dans sa lettre du 21 mars 1998, et très prisé depuis ; sur Non Mediocri, cf. cours 24 !

 

[10] En Europe, seul le Portugal ne verra pas la restauration de la vie cistercienne, et il attend encore

[11] Quand Dom Augustin fuit aux USA, il achète un terrain à New-York, qui deviendra le site de la cathédrale st Patrick

[12] cf Thomas Merton, Aux sources du silence

[13] Une plaquette a été réalisée pour le centenaire

[14] Sur les débuts de ces  maisons, cf. B. Brard, Lehodey chap 7 p.69

[15] elle a aussi 2 paroisses

[16] Maubec fait aussi du nougat  ; cf. Bernard Martele, Chautard, par p.71

 

[17] voir dans Hermans, Actes, Supplément p. 5-55 ; discours d’ouverture, pour comprendre la spiritualité trappiste.

Dom Vincent Hermans a publié les Actes des CG des Congrégations trappistes au XIXe (1835-1891) - mi-latin, mi français, cf index très détaillé ; le Supplément (en français) rassemble entre autres tous les discours d’ouverture ; cela permet de sentir l’époque et sa spiritualité. Il y a aussi un volume de commentaires, en latin.

 

[18] Il rassemble la RB, l’Exorde de Cîteaux, la Charte de Charité, les Consuetudines (=Capitula Ecclesiasticorum  Officiorum + Instituta+Us), les Institutiones (=Statuts entre 1240 et 1258), les Libellus Novellorum Definitiorum, les Articles de Paris (1493), et divers documents entre 1581-1892 ; le dernier document est le décret d’union ; seul l’appendice est en français.

[19] Son père maître était le père André Malet (qui deviendra abbé en 1911)  ; il a beaucoup insisté sur la vie intérieure et la contemplation.