4,1
COURS
4
Albéric et
Etienne
1099-1108 et 1109-1134
Robert parti, l'évêque de Chalons préside
l'élection; les frères se choisissent pour abbé Albéric.
« Devenue ainsi veuve
de son pasteur, l’Eglise de Cîteaux se réunit en assemblée et se donna pour
abbé, par une élection régulière, un frère du nom d’Albéric, un lettré, versé dans les sciences divines et humaines, qui
aimait la Règle et les frères. Il avait assez longtemps rempli la charge de
prieur tant dans l’Eglise de Molesme que dans celle-ci. Il s’était donné beaucoup
de mal pour que les frères passent de Molesme en ce lieu , et pour cette
affaire il avait supporté beaucoup d’humiliations, subi la prison et les coups ». (Petit Exorde)
Ce bref passage nous donne les seuls
renseignements que nous ayons sur Albéric (ou Aubri). D'après des détails,
on peut conjecturer qu'il est né autour de 1050 ; il est probablement
natif de la région. On sait qu'il fait partie des fondateurs de Molesme en
1075, qu’il y fut prieur, et qu'il y a beaucoup souffert en l'absence de Robert.
Il est sans doute entré en religion vers 1070. Avant d'entrer, il reçut probablement
une formation intellectuelle, à en juger d'après son renom d'érudition et
aussi son aménagement du scriptorium de Cîteaux, comme nous le verrons; le
niveau artistique et intellectuel de cet atelier spirituel révèle les aptitudes
et le talent de celui qui l'a organisé.
Résistant d'abord par humilité à l'idée
d'être abbé, il accepte finalement et se met vite au travail.
"Sa première tâche était de s’assurer
que le bréviaire (le livre des lectures
pour les Vigiles) soit recopié et rendu à Molesme. Puisque le synode eut lieu
en mai ou juin, et que la date pour avoir terminé la copie était le 24 juin,
il est évident que c’était un travail assez urgent."[1]
Puis ils se mettent à transférer le monastère 2 ou 3 km
plus loin, à l'emplacement actuel, à cause, semble-t-il, du manque d'eau[2].
Un monastère y est alors construit
en pierre; sa dédicace[3] a lieu le 16 novembre
1106. A Cîteaux, dans la propriété, il y a une statue d'Etienne Harding, et
à ses pieds une plaque commémorant ce jour.
4,2
Comment se fait-il que Robert n'ait
pas vu le problème plus tôt? Il y a là une énigme et les historiens ont lancé
des hypothèses...En tout cas, la partie sud du domaine, où sont désormais
les moines, n'a sans doute pas été défrichée et correspond sûrement mieux
à la description de ce lieu sauvage...- alors qu’il y avait sans doute déjà
des bâtiments et une chapelle là où ils s’étaient d’abord installés.
"On a pu suggérer aussi que ce
changement pouvait être le résultat du choix de ne plus vivre comme ermites
dans des cabanes forestières, mais de construire les prémices d’un monastère
bien constitué, avec accès à une route importante."[4]
On attribue également à Albéric le
changement de couleur de la coule[5],
du noir au blanc. Une ancienne légende raconte que la Vierge elle-même était
venue apporter à Albéric l'habit blanc dont elle voulait que ses enfants soient
désormais revêtus. De façon plus réaliste, ce n'est qu'une conséquence parmi
d'autres, de la volonté des réformateurs de suivre en tout la RB, qui prescrit
à ce sujet de ne pas se soucier de la couleur des vêtements. C’était aussi
une façon de marquer la séparation d’avec Molesme, et de s’identifier aux
autres mouvement réformés. On pense que, le moment venu de remplacer les vêtements
usés apportés de Molesme, ils ont choisi de prendre la laine telle quelle
des moutons du voisinage, non teinte - on appelait d'ailleurs les moines de
Cîteaux non pas "moines blancs" mais "moines gris"; la
couleur pouvait légèrement varier (par exemple laine plus foncée plus tard
en Allemagne, selon les moutons!). Par ailleurs, la forme est moins ample
que l’habit bénédictin, à en juger d’après les gravures de l’époque. On dit
aussi (légende?) qu'ils ont taillé leurs scapulaires noirs (moins salissant,
pour le travail) dans leurs anciennes coules bénédictines...- le scapulaire
rappelle le tablier des paysans du Moyen-Age.
Après ces petits points, regardons
3 choses capitales qui ont retenu toute l'attention d'Albéric :
1) La position
juridique du monastère
Albéric a le souci de protéger son
abbaye...contre d'éventuelles réactions de Molesme[6]. Deux moines sont
alors choisis pour se rendre à Rome en vue d'obtenir pour Cîteaux la protection
apostolique directe de Rome. L'archevêque Hugues de Lyon, légat du Pape, joint
un message dans lequel on lit ceci :
4,3
"Ce
sont des pauvres du Christ : ils ne cherchent à se défendre contre ceux qui
les jalousent ni par les richesses ni par la puissance, mais ils espèrent
uniquement dans la clémence de Dieu et dans la vôtre."
(Petit Exorde XII,8 p.41)
Pascal II écrit alors Desiderium Quod[7]
(19 octobre 1100), première Bulle en faveur de Cîteaux, où il lui accorde
le Privilège Romain. Cela veut
dire que le Nouveau Monastère se trouve sous la protection spéciale du st
Siège, "à perpétuité" : aucune autorité inférieure au Pape ne peut
modifier les règles ni molester la communauté. Ainsi, la Bulle confirmait
la séparation d’avec Molesme, reconnaissait la validité du style de vie, et
la confirmation papale donnait une stabilité juridique au monastère. Notons
que la Bulle se termine par une exhortation à garder intactes 2 caractéristiques
de Cîteaux : un plus grand éloignement du siècle, et une vie plus saintement
austère (versets 8 et 9).
Le rôle d'Albéric a donc été d'assurer
sécurité et indépendance au Nouveau Monastère. On retrouve cela au niveau
économique
: il améliore l'état financier de son abbaye, arrange des accords avec le
duc en vue d'un système financier autonome, et transforme l'institution des
frères convers en une organisation qui donnera son équilibre à la réforme
de Cîteaux.
2)
Au niveau spirituel.
Petit à petit, sont mises en place
et surtout rédigées des résolutions pratiques pour suivre plus fidèlement
la RB, en revenant à un mode de vie plus simple et plus pauvre : ce sont les
Instituta. On en a
trace au Chapitre XV du Petit Exorde (p.45-49).
"Trois principes fondamentaux émergent de ce chapitre :
Þ
une vie austère à l’intérieur de la clôture
du monastère, selon la Règle
Þ
autonomie
et accueil assurés par leur propre travail, et donc renoncement à d’autres
formes de revenus
Þ
l’acceptation
de frères convers, pour vivre une vie religieuse parallèle, et prendre en
charge les activités que les moines ne pouvaient réaliser."[8]
En
résumé, cela touche au rejet du luxe et du superflu dans les points suivants
:
1. vêtement
(cf. le changement de couleur) et nourriture
2. possessions,
revenus, dîmes (entièrement rejetés)
3. organisation
du travail manuel, indispensable
4. soin
des hôtes, surtout des indigents, aumônes
5. frères
convers
6. nouvelles
fondations : loin de la fréquentation du monde, avec 12 frères et un abbé.
4,4
Avec ce point, on voit qu'il s'agit donc d'un projet d'une
nouvelle famille qui se distinguerait par sa fidélité à la RB, en suivant
le modèle de Benoît pour qui l'importance de l'abbé est capitale (cf. la différence
des fondations clunisiennes, comme nous l'avons vu p.2,3).
Dans tout cela on peut remarquer l'insistance
sur la simplicité, la pauvreté et la séparation du monde, par souci d'une
vie monastique authentique.
Précisons un peu en ce qui concerne
les frères convers[9]
:
Ils sont apparus, comme nous l'avons
déjà vu, dans les fondations érémitiques : ils permettaient d'assurer aux
moines la solitude la plus complète, du fait qu'on leur confiait les occupations
qui pouvaient nuire à la séparation du monde des moines, en éloignant les
moines de leur monastère ou en les mettant trop en contact avec les séculiers.
Chez les Bénédictins, ils sont considérés comme de vrais religieux, mais non
pas moines; ils sont donc dispensés de l'office choral et des heures de lectio.
A la place, ils récitent un office en Pater et Gloria; s'ils acquièrent les
connaissances nécessaires, ils peuvent devenir moines.
L'adoption des convers par les Cisterciens[10] (à partir de
quand? vraiment sous Albéric? vers 1115? la question est débattue!) n'est
donc pas une innovation, et elle correspond à un besoin. Mais la grande nouveauté,
c'est que tout en étant membres de plein droit de l'Ordre et vrais religieux
(sauf le titre de moines) ils constituent un état stable et définitif, et
ne peuvent être ensuite admis au rang de religieux de choeur. Ils ne font
pas profession selon la RB, mais sont engagés par une promesse simple d'obéissance
et renoncent à leurs biens. N'étant pas moines, ils ne sont pas soumis aux
obligations de la RB et ont des us spéciaux; ces us des convers indiquent comment on doit
pourvoir à leurs intérêts temporels et spirituels. Il y est question de la
prière, du travail, de l'admission, du vêtement et de la nourriture des convers.
Au début, ils habitent dans l'enclos
du monastère; plus tard, quand les abbayes grandissent et possèdent des terres
plus vastes et plus éloignées, ils ne peuvent plus les exploiter tout en revenant
au réfectoire, à l'église, etc. On établit alors le système des granges; ce
n'est d'abord qu'un hangar, une étable, puis il se transforme en logement
divers avec une chapelle où des groupes de frères se relaient, entre des séjours
à l'abbaye. Sous Albéric, ils ont déjà une grange à exploiter, au lieu du
premier emplacement, La Forgeotte[11].
3) Le troisième
souci et apport d'Albéric est d'ordre liturgique
:
Sous son abbatiat, Cîteaux commence
à se renseigner et à faire des recherches pour entreprendre une réforme liturgique,
toujours en vue d'observer strictement la RB.
L'opus Dei est spécialement ramené aux justes proportions de
la RB, alors qu'à Cluny les offices avaient pris une ampleur démesurée; on
dit par exemple que le seul office de prime l'emportait en longueur sur tous
les offices des cisterciens moins Messe et Vêpres.
4,5
"Dès le début, leur scriptorium était supérieurement habile
et très productif, chargé de fournir des textes liturgiques et des lectures
pour l’usage de la communauté...Albéric était personnellement impliqué dans
les détails de ce travail."[12] Et c’est dans leur
souci d'un retour aux sources pures qu’ils entreprennent des travaux considérables
sur la Bible
: copies, enluminures, et même corrections et révision de toute la Bible.
Pour cela, ils vont jusqu'à consulter des Juifs; à cette époque, l'Ecole Juive
de Troyes, centre éminent, compte un maître très célèbre, Rachi (1040-1105)
qui a commenté entre autres le Cantique des Cantiques. Ce travail considérable
sera poursuivi sous Etienne, 3ème abbé - on aura la "Bible de st Etienne"
(maintenant à la Bibliothèque municipale de Dijon).
Albéric a été un administrateur prudent
très désireux de conduire ses frères à la sainteté par la pratique fidèle
de la RB. Il meurt le 26 janvier 1108 (?) laissant un monastère neuf, fermement
établi, protégé par le st Siège. L'équilibre entre prière, travail et lectio
(rompu avant Cîteaux) est retrouvé. La communauté est très fervente, mais...il
n'y a que peu de recrutement et c'est un grand sujet de tristesse pour les
frères.
* * *
A Dom Albéric succède son prieur :
Etienne Harding. Harding[13]
est né en Angleterre, dans le Dorset, vers 1059 dans une famille noble. Vers
12 ans, pense-t-on, il entre au monastère bénédictin de Sherborne; mais il
le quitte pour s'adonner aux études en Ecosse puis en France. Il entreprend
alors un pèlerinage de pénitence (semble-t-il, car on le voit réciter chaque
jour le psautier en entier) avec un ami, Pierre ; au retour, ils entrent
tous deux à Molesme, vers 1085.
Dom Etienne fait partie du groupe fondateur du Nouveau Monastère,
et y est prieur sous Albéric, puis son successeur dans l'abbatiat [14].
On dit qu’Etienne “était
d'une conversation aimable et bienveillante, d'un visage agréable, d'un esprit
toujours joyeux dans le Seigneur, c'est pourquoi il plaisait à tous.”
"Il est vraisemblable qu’Etienne
avait un rôle important dans le travail du scriptorium. C’est dans la première
décade de son existence que le scriptorium de Cîteaux commença une production
de la plus haute qualité. Plusieurs styles et plusieurs artistes se sont distingués.
Le « premier style » est l’auteur des dessins célèbres de moines
au travail, tracés avec économie et élégance, et marqués par l’humour et l’attention
aux personnes. Des experts regardent le sujet traité, la couleur et la présentation
générale comme typiquement anglais."[15]
Les débuts de son abbatiat sont très
durs : au manque de recrutement s'ajoute la mort de plusieurs frères, suite
à une épidémie. Et puis la famine sévit ces années-là en Bourgogne; les frères
en sont réduits à mendier pour survivre.
4,6
Mais si leur vie est trop austère pour qu'on ose les imiter,
elle suscite beaucoup d'admiration. En 1110 les donations affluent qui sauvent
le monastère - spécialement par Elisabeth,
châtelaine de Vergy : donations en terres autour de Villebichot, à Gilly
et Cergueil (cf. Sombernon) - donc exploités par les frères convers; Elisabeth
de Vergy est imitée par plusieurs bienfaiteurs.
Face à toutes ces donations, à l'essor
domanial, Etienne, à la suite d'Albéric, réaffirme les mesures strictes du
Nouveau Monastère pour sauvegarder leur séparation du monde, interdisant aux
seigneurs de venir tenir cour au monastère, et parvient à exiger que les bienfaiteurs
ne revendiquent aucun droit sur l'abbaye (en retour de leur générosité) :
c'est une victoire propre à Cîteaux,
importante, sur le système féodal de l'époque.
Du côté spirituel, les premiers règlements sont complétés par d'importantes
mesures liturgiques, visant toujours la simplicité et l'observance de la RB;
on poursuit donc la révision, non seulement de la Bible, mais aussi de tous
les livres liturgiques, en consultant des spécialistes à Metz et Milan!. Et
Etienne fait en sorte que le superflu ne se glisse pas dans la liturgie, pour
mieux servir Dieu en pureté de coeur.
Et voilà que le Seigneur les consola! Est-ce à dire que la
communauté sous Etienne avait changé d’orientation, et était plus à même d’attirer
les vocations que précédemment ? la question est légitime.
*
Les recrues affluant, on dit que Cîteaux
devient trop petit[16], on se met à fonder
! Il y aura jusqu'à 12 fondations durant l’abbatiat d’Etienne. La première
fondation a lieu le 18 mai 1113 à La
Ferté[17]
; suit le 31 mai 1114 celle de Pontigny,
première fondation hors du diocèse de Cîteaux; le 25 juin 1115, c'est au tour
de Clairvaux et, le même jour (?) Morimond. [18]
L'abbé de Clairvaux, c'est Bernard, il a 25 ans...[19]
Trois nouvelles fondations sont faites
en 1118 et 1119 : Preuilly, la Cour-Dieu et Bonnevaux. La plupart de ces fondations
sont faites sur demande de l'évêque du lieu. En même temps, voilà que les
premières filles donnent elles-mêmes naissance : Clairvaux fonde Trois-Fontaines
en 1118 et plusieurs autres en 1119 dont Fontenay.
Dès la première fondation, (la Ferté
en 1113), Etienne et ses frères commencent une réflexion concernant les relations
entre maison-mère et maison-fille; un court décret est sans doute rédigé à
ce moment-là; avec les nouvelles fondations on complète et précise ce décret.
4,7
Le Pape Calixte II approuve ce texte en 1119[20].
On continuera à l'agrandir et à le modifier[21], ce qui peut expliquer
les approbations successives des papes : en 1152 l'Ordre demande une nouvelle
confirmation au Pape Eugène III (Bulle Sacrosancta, cf. cours 6,5), en 1153
à Anastase IV, en 1157 à Adrien IV et en 1165 puis 1167 à Alexandre III; après
1165, le texte n'évoluera plus. Dès 1113 ou 1114, ce texte reçoit le nom de
Charte de Charité[22]
.
La Charte
de Charité est un document capital, c'est le document juridique
cistercien par excellence, c'est la constitution de l'Ordre. Elle règle le
contrôle et la continuité de l'administration de chaque maison, elle définit
les rapports des maisons entre elles et elle assure l'unité de l'Ordre.
Son but, "c’est de former un esprit
d’amour mutuel parmi les monastères cisterciens, de créer une communauté de
communautés, de manière à ce que chacun reçoive l’assistance pour maintenir
la fidélité à la grâce spécifique du charisme"[23],
c’est l’unité dans la charité, entre les différentes maisons ; ceci exclut
toute redevance temporelle, contrairement à ce qui se pratiquait dans l’Ordre
de Cluny, dont les maisons payaient un cens annuel à l’abbaye-mère en signe
de sujétion ; Cîteaux, très lié au mouvement grégorien, rompt délibérément
avec cette transposition du monde féodal.
Aux dangers d'isolement dont avaient
souffert jadis les anciens monastères, la Charte de Charité fait succéder
une bienfaisante union, une intense circulation de vie, un très réel esprit
de famille, qui groupera en un corps compact les centaines d'abbayes issues
de Cîteaux. Chacune d'elles cependant fonctionne à l'aise, travaille avec
joie à son développement spirituel et temporel, car elle bénéficie toujours
de l'autonomie prévue par la Règle, et que Cîteaux
voulait respecter. "En même temps, chaque monastère est protégé (par
le regard pastoral et la supervision) des abus potentiels de l’autonomie locale,
tels que la perte de vue de l’idéal, la tiédeur, et le mauvais usage de l’autorité."[24] L'Eglise a hautement
estimé la Charte de Charité, au point d’imposer parfois plus tard la même
structure à d'autres congrégations, ou d'autres familles l'ont choisie d'elles-mêmes[25].
Dans sa version définitive, elle impose à toutes les maisons
de l'Ordre l'uniformité de l'observance
de la RB, telle qu'elle est en vigueur à Cîteaux[26]. Elle institue le
Chapitre Général comme autorité suprême de l'Ordre - cela existait déjà
sous Pachôme![27].
Un contrôle sur la bonne observance monastique de chaque maison sera assuré
par la Visite Régulière annuelle,
faite par l'abbé père.
4,8
On prévoit les cas d'entraide
d'abbayes en difficultés (finances, délits, révoltes) et les mesures à prendre
en cas de vacance du siège abbatial, et pour les élections.
*
Dans le COURS 2, nous avons déjà vu
des essais d'organisation de congrégations, avec Benoît d'Aniane, et surtout
la très forte centralisation autour de Cluny. L'organisation
cistercienne est originale : l'unité est réelle et très forte, mais elle
existe entre abbayes qui restent égales entre elles et autonomes, et on retrouve
entre abbayes les mêmes rapports mutuels que st Benoît établit entre les frères
(par exemple statut 10 p.67 et RB 63,17 et 72,4).
C'est la Charte de Charité qui a permis
le succès et la force de l'Ordre de Cîteaux, qui a permis à cette réforme
de réussir et de durer (à côté des multiples autres essais de réforme du XIIème).
Et c'est grâce à elle que l'idéal de nos pères fondateurs a pu subsister à
travers une expansion considérable pendant plusieurs siècles. On verra plus
loin que c'est l'impossibilité d'observer la Charte de Charité dans ses deux
grandes dispositions, Chapitre Général et Visite Régulière, qui a précisément
causé, en partie, la décadence.
Au cours d'un Chapitre Général, les
abbés décident de revoir et regrouper toutes les décisions déjà prises sous
Albéric et Etienne lui-même; ces Chapitres (Capitula) sont intégrés dans ce
qu'on appelle l'Exorde de Cîteaux, qui est une compilation, comme nous l'avons
vu au cours 3; ce travail a peut-être été confié à plusieurs abbés.
Finalement, on a autour de 1185 un dernier ouvrage de compilation,
intitulé Consuetudines;
il regroupe :
1.les Ecclesiastica Officia : ce sont
les us (Liber Usuum) pour les
choristes, donc la codification de la vie concrète du moine. Ces textes revêtent
un caractère législatif; l'accent y est mis sur la simplicité et l'austérité;
le plan en est logique et systématique : année liturgique, prescription liturgique
pour Office et Messe, emploi du temps, relations avec l'extérieur - voyages,
hôtes -, soin des malades, défunts, admission dans la communauté, officiers
de semaine et du monastère.
2.les Instituta : compilation
des Capitula des CG.
3.les Us des convers (déjà évoqués
au cours 3), rédigés vers 1151 peut-être ou un peu avant. Ces deux livres
d'Us pour choristes et convers seront en vigueur jusqu'au Concile Vatican
II.
Le tout est précédé d'une introduction
littéraire et des Constitutions.
Puis Etienne, trop âgé, et devenant
aveugle, comme beaucoup de scribes vieillissants, démissionne en 1133 et meurt
l'année suivante. Son successeur, Guy (ou Wido, Widon, Guido) abbé de Trois-Fontaines,
ne resta que quelques mois...Il fut remplacé par Rainard (1134-1150).
Un autre fait important de l'oeuvre
d'Etienne est "l'apparition" de cisterciennes; nous leur
consacrerons un prochain chapitre.
* * *
Questions possibles
· Noter dans notre office du 26 janvier ce qui
a trait à Robert, Albéric et Etienne.
· Recopier les mentions explicites à RB, dans
les passages suivants du Petit Exorde (qu’on peut aussi trouver à http://users.skynet.be/scourmont/script/scriptorium-a.htm
), et faire une synthèse:
XII,5 p.41
XV
en entier p.45-49
· Montrer le parallèle qui existe entre le statut
10 de la Charte de Charité et RB 63.
· Lire la Charte de Charité, en étant attentif
à tous les emprunts à RB, en s'aidant des notes de bas de page. (Le travail
est fait dans Cîteaux 1968- XIX,3 p.137)
· Possibilité de faire des questions sur les chap
1-3 de la Charte de Charité cf. Exordium unité 5 pp.7-8
[1] Exordium unité
2 p.16 ou à http://users.skynet.be/am012324/exordium/fra/exordium-fra.htm
[2] Sur l’environnement de Cîteaux,
lire Alain Saint-Denis, L’évolution du paysage autour de l’abbaye, de
la naissance à l’apogée : 1098-1250, in Pour une histore monumentale
de l’abbaye de Cîteaux ; 1098-1998 (Cîteaux Commentarii Cistercienses
Studia et Documenta n.8) pp.43-65
[3]L'Eglise
est consacrée à ND de l'Assomption, sous l'invocation de la Reine triomphante
du Ciel, la Vierge Mère de Dieu, patronne très puissante et protectrice
des Cisterciens. On dit qu'Albéric avait une très grande dévotion mariale, et dès l'origine, les Cisterciens se sont placés
sous la protection de Marie.
[4] Exordium unité
2 p.18
[5] Sur l’évolution ultérieure de la coule, cf. FRANCE, The Cistercians in Medieval Art pp.74-77
[6] "Les frères de l'église de Molesme et
d'autres moines voisins ne cessent de les harceler et de les troubler car
ils craignent de paraître eux-mêmes plus vils et plus méprisables aux yeux
du monde si l'on voit les autres habiter au milieu d'eux comme des moines
nouveaux et singuliers." Lettre de Hugues de Lyon XII,6
(p.41)
[7] Sur
Desiderium Quod : dans Cîteaux 1982 (tome 33, vol 3-4) p.247: analyse
très détaillée par C.Waddell (en anglais); p.265-266 : plan type d'une Bulle
[8] Exordium unité
2, p.21
[9] cf.
DUBY, L’art cistercien, p.130
[10] cf. représentations dans FRANCE, The Cistercians
in Medieval Art pp.123+
[11] Nous
verrons de plus près la vie des convers au cours 5, et au cours 23 sur les
convers d’Igny.
[12] Exordium unité
2 p.17
[13] Etienne est un nom qu’il a adopté seulement plus tard
[14] Dans FRANCE, The Cistercians in Medieval Art,
on voit le pape remettant la charte aux fondateurs p.15 (expliqué p.14)
[15] Exordium,
unité 2 p.28
[16] C’est ce que dit un passage de la charte de fondation
de la Ferté :
"Comme
le nombre de moines à Cîteaux était devenu très grand, on ne pouvait plus
trouver ce qui était nécessaire à leur subsistance, et il n’y avait pas
non plus assez de place pour vivre. Il plut à l’abbé du lieu, nommé Etienne,
et aux frères, de chercher un autre endroit où une partie d’entre eux pourrait
vivre, séparés de corps mais non d’esprit."
[17] Donc en fait, il y avait assez de monde pour faire une
fondation avant l’arrivée de Bernard ! (Nous reparlerons de lui plus
loin).
[18] Voir
dans l'Atlas cistercien p.29 : les armoiries des 5 premières maisons
[19] Dans France, The Cistercians in Medieval Art,
planche couleur n°6 (après p.54), sur les 4 1ères fondations
[20] Pour cela, on prépare une première collection de textes
juridiques, (EP+CC1+I) comme nous l’avons vu au cours 3.
[21] Il
y a peu de modifications dans les chapitres 1 à 3, essentiels
[22] Elle existe déjà dans les grandes lignes à Vallombreuse
(pour le parallèle, cf. LEKAI, The Cistercians, Ideals and Reality p.29)
[23] Exordium unité
5 p.14
[24] Exordium unité
5 p.2
[25] Jusqu’au XVème, elle était lue solennellement au début de chaque CG, c’est dire son importance.
[26] Un
auteur (Auberger) a remarqué que la Charte de Charité ne fait aucune référence
à d'autre source que la RB, sauf Eph 5,5; dans son livre, p.283-284, il
y a un parallèle entre la RB au niveau personnel, communautaire, et la Charte
de Charité au niveau de l'Ordre.
[27] Le
Chapitre Général chez Pachôme : FESTUGIÈRE tome IV/2 p.203 n°83