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COURS 9

Évolution au XIIIème siècle

 

            Le Cîteaux de 1120 est éloigné du Cîteaux de 1098; l'âge d'or touche à sa fin. Cependant l'Ordre n'est pas encore décadent, et il continue de s'agrandir et d'évoluer dans de nombreux domaines au XIIIème - comme nous allons le voir - et de jouir toujours d'une bonne réputation. Toutefois après le IVème concile du Latran (1215) son prestige se verra menacé par l'apparition des deux premiers ordres mendiants (de François et Dominique) et son champ de recrutement se restreindra à la classe bourgeoise et paysanne à la périphérie des monastères.

            Le XIIIème siècle cistercien est caractérisé par le fait que prospérité et germes de décadence se côtoient et se compénétrent - Innocent III en 1202 les exhorte à demeurer dans la simplicité.

 

I) Expansion

 

            Au XIIIème l'Ordre connaît un accroissement continu, même s'il est plus lent qu'au XIIème: 53 fondations entre 1250 et 1294. On poursuit les fondations:

·au nord, à l'est : Angleterre, Ecosse, Irlande, Germanie[1], Silésie, Bohême[2], Hongrie, Pologne[3].

·dans les pays scandinaves: Danemark, Norvège

·dans les pays méditerranéens: Italie, Espagne, Syrie.

Et on va dans d'autres pays :

·Transsylvanie (Kercz, 1202), Slavonie (Sainte Croix, 1214) tous deux fondés par les Hongrois; Moravie (Welehrad, 1205), Croatie (Topliz, 1208 - 76ème fille de Clairvaux), Ruthénie.

·En Baltique: Livonie (les moines seront massacrés par les païens), Estonie[4] (Dünamünde, 1205, près de Riga, pour convertir les païens; Valkena, 1234).

·Majorque (La Real, 1236, par Poblet, qui durera jusqu'en 1835).

·Près d'Athènes: Daphni, en 1207; près de Thessalonique: Chortaïton en 1214; près de Corinthe: Saracaz en 1224.

 

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·Plus de 6 monastères dans l'Empire de Constantinople, dont un de moniales - ils disparaîtront en 1261 avec la fin de l'empire latin de Constantinople.

            En France l'épopée touche à sa fin à la fin du XIIIème, mais elle se continue ailleurs: Hongrie, Pologne, Grèce, Chypre.

 

II) Evolution

            Les Cisterciens apportent une note importante à la transformation sociale, culturelle et religieuse du Moyen-Age.

 

1) L'économie :

            Le XIIIème connaît le développement du commerce et de l'industrie, qui prennent le pas sur l'agriculture. Les centres de la vie économique se déplacent vers les villes, dont la puissance et la richesse ne cessent de croître. Les cisterciens contribuent au passage de l'économie fermée du monde féodal et rural à cette économie plus ouverte à dominante urbaine.

            Dès la fin du XIIème déjà, on ne se contente plus chez les cisterciens d'échanges et d'aumônes, pour étendre et regrouper les domaines, mais cela se fait à prix d'argent. Ils étaient devenus peu à peu des propriétaires riches en terres et en troupeaux; assez généralement d'ailleurs, on abandonne progressivement les prescriptions de la Charte de Charité interdisant les serfs, les moulins et même les dîmes - c'est même le CG de 1230 qui autorise (suite à la Bulle de Grégoire IX en 1229) les abbayes à lever la dîme sur les terres d'autrui, ce qui est un revirement tout à fait contraire aux statuts primitifs.

            Bien que la chose soit elle aussi contraire aux premiers Instituta de l'Ordre, les papes de cette époque se montrent enclins à approuver des donations de revenus d'églises à des abbayes cisterciennes. Ceci, peut-être pour protéger la vie économique des abbayes; en effet, le système économique du XIIIème étant en pleine mutation, il n'est pas rare que des crises financières atteignent des abbayes.

 

            La propriété foncière de l'Ordre est devenue énorme, avec une heureuse concentration. Ceci par réflexe de survie peut-être...Parfois on murmure contre les monopoles que peu à peu ils se sont assurés. Pour illustrer les difficultés économiques qui peuvent surgir, voici l'exemple de Cîteaux : sa situation financière en 1235 est lamentable et son abbé Jean I est même menacé d’excommunication en 1237. L'abbaye est aidée alors par la charité généreuse de ses filles, mais n'empêche, l'abbé Jean II en 1265 trouve la maison accablée de dettes; en partie, dit-on, à cause de dépenses pour les CG[5], non remboursées !

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Un point important de l'évolution économique de l'Ordre alors, c'est la diminution des convers, signalée au CG de 1274.

On sait qu'il y a au XIIIème (à Eberbach en Allemagne, par exemple) des conflits entre moines et convers - c'est l'époque où l'attrait de la ville détourne du "désert". Nous reverrons ce point au XIVème, quand cela se sera aggravé.

            Il n'en reste pas moins que les abbayes continuent de manifester une large charité aux plus pauvres (à moins que cela ait aussi contribué dans certains cas à des crises économiques). Le portier est chargé de distribuer des pitances aux pauvres, et le CG de 1217 dit que l'affluence est considérable. Plusieurs monastères édifient même des hospices pour les pauvres à un ou deux km de l'abbaye: ils sont desservis par les convers. En 1256 la Grâce-Dieu (diocèse de Saintes en Charente-Maritime) fonde même une léproserie ; Granselve prend aussi en charge une léproserie et fonde un hôpital urbain à Toulouse - la lèpre est très répandue au Moyen-Age ; il y a aussi des maisons pour pestiférés.

 

2) La législation :

            En 1204 on procède à une nouvelle compilation[6] des Statuts des CG, classés en 15 chapitres[7] (= Libellus definitiorum, ou Livre des Définitions), publiés pour la 1ère fois en volume à part. Grâces à ses lois, l'Ordre échappe aux désastres du XIIIème qui atteignent d'autres familles religieuses, occasionnés par des élections mal réglées, avec ingérence des pouvoirs séculiers, nomination par Rome de sujets mal connus, intrusion d'incapables, compétition et procès de plusieurs élus...

            On reconnaît si bien la valeur de la législation cistercienne qu'au IVème concile du Latran (1215), les monastères de moines indépendants se voient imposer les institutions de la Visite Régulière et du CG.

 

Et pourtant...tout n'y est pas parfait, et le XIIIème est essentiellement marqué par la "querelle des proto-pères". Il y a dans la Charte de Charité une ambiguïté par rapport à la position légale de l'Abbé de Cîteaux; nous avons vu dans le cours sur le XIIème que petit à petit l'influence des 4 premiers Pères grandit; vers 1152 ils reçoivent le droit de visite, les Pères Immédiats deviennent plus influents, ainsi que le CG tout entier, en cas de désaccord.

Or en 1215, Arnauld, abbé de Cîteaux, veut déposer un des premiers Pères, sans consulter les autres - d'où une rivalité, et ceci d'autant plus que les autorités civiles et ecclésiastiques elles, considèrent l’abbé de Cîteaux comme le véritable supérieur de l'Ordre !

 

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Les différends se font de plus en plus nombreux jusqu'à atteindre le comble en 1262. Jacques II est élu abbé de Cîteaux; or les proto-abbés, menés par Philippe de Clairvaux, déclarent cette élection nulle, en raison de "certains vices de procédure": Jacques aurait été élu par les seuls moines de Cîteaux, sans les proto-pères, comme le requérait pourtant la Charte de Charité (statut n°20). Le Pape prend un arbitre Bénédictin et un Dominicain - pour contrôler aussi d'autres abus dans l'Ordre; ce choix d'arbitres extérieurs à l'Ordre n'est pas très heureux, et Jacques refuse de s'incliner !

            En 1264 au moment du CG, Philippe réunit les abbés de son choix, et ceux qui sont fidèles à Cîteaux ouvrent le CG régulier...! Pour éviter le schisme, Clément IV le 9.6.1265 promulgue une nouvelle Constitution : Parvus Fons (qu'on surnomme la Clémentine). En voici les premières lignes :

         "Petite source devenue fleuve, et qui, se présentant à la lumière et au soleil, a regorgé d'eaux abondantes, l'ordre de Cîteaux est un ordre lumineux qui, au début de son apparition, petit et humble par sa basse condition, la médiocrité de ses ressources, sa profession d'humilité et le faible nombre de ses profès, peut à bon droit être comparé à une source..."

            Parvus Fons donne une interprétation plus précise et complète de la Charte de Charité. L'idée de base est de limiter l'influence des proto-abbés et de rétablir l'autorité du CG. On restreint aussi le droit des visiteurs[8].

            Le CG est composé d'une commission de 25 abbés, appelée le Définitoire (soit l'abbé de Cîteaux + les 4 proto-abbés, se nommant chacun 4 autres abbés dans leur filiation), ceci pour assurer l'exercice incontesté de l'autorité suprême. Ceci a une heureuse influence jusqu'au XVème, mais il y a toujours quelque querelle à ce propos jusqu'à la Révolution ! D'ailleurs l'idée de Définitoire est peut-être déjà en place en 1197, mais la Clémentine la stabilise et précise qu'il n'a pas de force légale sans le consentement du CG tout entier.

 

Une nouveauté, toujours dans le domaine législatif, apparaît aussi au XIIIème. La nécessité de régler des affaires courantes avec le st Siège et la difficulté des voyages déterminent l'Ordre à se créer des représentants à Rome. La décision est prise au CG de 1220 ; on se choisit 2 clercs (non religieux) résidant à Rome; 2 abbés italiens sont chargés de fixer leurs honoraires qui seront à la charge de tout l'Ordre. Ces procureurs sont nommés et mandatés chaque année par le CG. Au XIVème, on verra cette charge remplie par une seule personne : le procureur général[9].

            L'Ordre utilise aussi les services d'un Cardinal protecteur[10], comme en décide le CG de 1260. Le premier est un ancien moine cistercien, anglais de naissance, le Cardinal de st Laurence (Lucina, Italie) : John Toilet (Jean Tolet? Jean de Toledo?). Ceci nous amène au point suivant :

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3) Relations avec la hiérarchie :

            Les Cisterciens apportent beaucoup à l'Eglise également à ce niveau-là. Au XIIIème, 160 moines sont appelés à l'épiscopat. L'apport considérable se situe au niveau des Croisades. Alors que le CG avait précédemment interdit aux moines de partir en pèlerinage en Terre Sainte, sous la pression du Pape il se voit obligé, en 1201, pour la 4ème croisade, à autoriser l'abbé Guy des Vaux de Cernay, avec 3 autres abbés et de nombreux moines, à se joindre aux armées comme prédicateurs et chapelains. Et le CG demande aux abbayes riches une somme considérable pour l'entretien des croisés. De nombreux cisterciens prennent part à la Croisade contre les Albigeois (1209-1218) et à la 4ème croisade. Après cela, le CG, excédé, demande à Rome d'épargner au moins les prieurs, sous-prieurs et cellériers! Innocent III fait la sourde oreille, et ce n’est véritablement qu’après le plein essor des ordres mendiants, qu’on laissera les Cisterciens tranquilles pour ce genre de choses[11].

            C'est après la 4ème croisade qu'on fonde plusieurs monastères au loin, dont Ste Marie de Daphni, près d'Athènes. Les cisterciens sont moins nombreux dans les croisades suivantes.

            La 7ème croisade (1248-1252) a des conséquences liturgiques puisque le CG décrète des prières solennelles pour elle, puis pour les Croisés captifs, pour le Roi st Louis et pour la Terre Sainte, et il institue une procession (!) le premier jour de chaque mois après la mort de st Louis en 1270 - il avait été grand ami et bienfaiteur de l'Ordre[12].

 

4) Evolution spirituelle :

            Au XIIIème, l'horizon intellectuel en Europe s'élargit, et le savoir se transforme en une discipline plus rigoureuse et plus rationnelle : c'est le temps des grandes universités, c’est le début du règne scolastique... Les ordres mendiants ont leurs maisons de formation. Et puis on demande aux Cisterciens de lutter contre les hérésies, or les Cathares étaient forts instruits, il fallait pouvoir leur répondre.

            Tous ces facteurs entraînent une évolution dans l'Ordre. Dès 1224, Clairvaux a une maison à Paris approuvée par le CG; au début les moines y travaillent sans doute avec des professeurs des ordres mendiants[13], ce qui amène de nombreux départs...

            Dom Etienne Lexington, abbé de Clairvaux (1242-1257), avait été frappé par le lien qu’il avait découvert entre les désordres de la vie monastique et l’ignorance des moines, lors de Visites en Irlande. Il transforme sa maison en un studium, le Collège st Bernard, qui est approuvé par le CG de 1245 et par une Bulle du Pape Innocent IV[14].

 

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Cette évolution était encouragée par les papes. Benoît XII disait qu'on devait envoyer un moine sur 12 à l'université; ce qui n'était pas au goût des conservateurs qui manifestent leur opposition; il est vrai que cela est onéreux, que les études sont longues (15 ans pour devenir docteur en théologie !), privant les monastères de leurs meilleurs sujets. Et le cadre des études s'adaptait mal aux nécessités monastiques. Du coup au début les abbés sont libres de n'envoyer personne, et Clairvaux assume seul l'entretien et la direction du Collège st Bernard.

            Après d'amères critiques, et après la mort d’Innocent IV, Dom Etienne Lexington doit démissionner, en 1257. Cependant d'autres collèges s'ouvrent: à Montpellier (1260), à Estella, à Toulouse (1280), à Rawley - en lien avec Oxford, à Würzburg et Cologne (1284) et à Metz (1332). Et en 1281, le CG oblige les abbayes qui ont plus de 80 moines à organiser les cours sur place. En 1321 le CG prend en main le Collège st Bernard, avec des règles de recrutement[15].

 

 

5) La liturgie[16] :

            Notons d'abord que c'est en 1222 qu'a lieu la béatification de st Robert.

            On peut distinguer 2 points dans l'évolution liturgique :

*on introduit de nouvelles fêtes et offices[17]; ceci au niveau local, avec parfois extension à tout l'Ordre; quelques exemples: st Wenceslas en Pologne, st Edouard en Angleterre, st Malachie à Clairvaux. La fête de la Ste Trinité est élevée au rang de fête de sermon en 1230. La France ayant reçu une relique de la Ste Couronne en 1239, en 1240 on introduit cette nouvelle fête. Et en 1246 la Fête du Corps du Christ - promue par Julienne du Mont Cornillon, religieuse qui trouva refuge chez des cisterciennes.

            Au XIIème on chantait Le Salve 4 fois par an, comme antienne de Benedictus et de Magnificat à des fêtes mariales; désormais on le chante tous les soirs. Après beaucoup de changements tout au long des CG, celui de 1251 ordonne de le chanter après Complies - notons que cette coutume est peut-être tombée en désuétude au XVème, car on retrouvera cet ordre au CG de 1463.

*le second aspect est l'assouplissement des règles d'Etienne Harding. Par exemple en 1226 on permet de porter des chasubles de soie si ce sont des dons; et en 1256 on permet d'orner l'autel de soie pour les grandes fêtes.

 

 

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6) Pourquoi les germes de décadence ?

            On peut voir 3 causes:

¨leur réussite suscite bien des jalousies, ce qui amène de nombreux procès, par exemple les héritiers de ceux qui avaient offert des terres veulent les récupérer, voyant ce qu'elles sont devenues!, ceci par cupidité, ou par gêne, du fait des guerres. Au XIIIème, les aumônes se raréfient d'ailleurs, allant plutôt aux Ordres mendiants.

¨l'esprit du siècle a son emprise sur l'Ordre, par l'esprit de lucre. Déjà en 1190 on stigmatisait la "cupiditatem semper acquirendi qua impetimur" (désir d’avoir toujours plus !). L'interdiction de tout achat de terres ou de possessions immobilières est répétée à de nombreux CG, apparemment en vain! Le commerce aussi est défendu, par exemple la vente de vin au détail, de la laine également (qui rapporte beaucoup en Angleterre et au Pays de Galles).

Cette avidité à acquérir[18] est due à la peur de manquer, à la crainte des crises économiques, à l'obligation de secourir les pauvres. Dès 1196 par exemple, Clairvaux possède une église à Bologne en Haute-Marne. En 1231 Clairvaux possédera 3 villages entiers avec leurs habitants. Des textes écrits au XIIIème sont révélateurs de l'image de Cîteaux, des dangers qui le guettent d'amener à la décadence collective l'idéal primitif; nous avons ainsi des sermons écrits vers 1270, d'Humbert de Romans, maître général des Dominicains.[19]

¨au XIIIème s'amorce une diminution des frères convers, à tel point que le CG de 1237 autorise à employer des "serviteurs laïcs" à la cuisine[20]. Pourquoi cette diminution? Les vocations religieuses sont moins nombreuses, il y a l'attirance des ordres mendiants, les conditions de vie se sont améliorées pour les travailleurs de la terre (affranchis désormais), et la population est en baisse; du coup on dit aussi qu'on reçoit les novices sans discrimination.

            Les adoucissements, dispenses et privilèges se multiplient. Dans les églises, les vitraux historiés, les stalles sculptées, les ornements de soie apparaissent - le CG critique les édifices trop grands, trop somptueux.

            La réussite matérielle a été trop belle pour s'allier à la ferveur primitive; la fortune et l'abandon des exigences des statuts amènent la plupart des abbayes à la médiocrité, même si quelques unes continuent de donner l'exemple d'une vie sainte.[21]

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7) Vie mystique :

            Le XIIIème témoigne d'une vie mystique encore rayonnante, dans de nombreux centres, spécialement en Flandre (Villers en Brabant, Aywières) et en Allemagne (Himmerod, Heisterbach). C'est une ère de piété intense, due entre autres au rayonnement de st Bernard. De nombreux saints ont reçu un culte local.

 

Ce siècle, comme le XIIème, compte beaucoup d'auteurs. L'Eucharistie tient une place de choix dans leur spiritualité, chez Conrad d'Eberbach par exemple, chez Césaire d'Heisterbach: dans la 9ème partie de ses Dialogues, 67 chapitres sont sur l'Eucharistie. C'est aussi, comme le XIIème, un temps de grande dévotion mariale, comme pour Ogier de Locédio, Adam de Perseigne et Hélinand de Froidmont, que nous allons voir un peu.

 

            Adam de Perseigne, d'abord chanoine régulier puis Bénédictin, entre ensuite à Pontigny ; il y est maître des novices. Il est abbé de Perseigne (près d'Alençon) de 1188 à 1221, année de sa mort. Il a beaucoup de relations et d'influences autant pour les cisterciens que Bénédictins et Chartreux et des dirigés dans le monde. Il nous reste donc de lui une soixantaine de Lettres, d'ordre spirituel, dont beaucoup ont l'étendue d'un petit traité de spiritualité. Nous avons aussi de lui des Sermons sur le Temps. Sa doctrine est très mariale. Il revient aussi souvent sur l'union de l'âme au Christ, sur la vie du Christ dans l'âme, ainsi que sur l'oeuvre de l'Esprit Saint dans les âmes.

            Hélinand de Froidmont est né vers 1160 au diocèse de Beauvais, de noble famille flamande. Sa famille était venue se réfugier en France, soupçonnée de l'assassinat du comte de Flandre.

            Jeune, il aimait la poésie et avait une belle voix, aussi ne tarde-t-il pas à compter parmi les trouvères les plus fameux.

Vers 1182, ayant compris la vanité de ses succès mondains, il entre à Froidmont. Il continue de composer, spécialement ses célèbres Vers de la mort (poème moral) en français. Il écrit beaucoup d'oeuvres, en latin, entre autres une chronique universelle, 3 petits traités et 28 sermons pour l'année. Il meurt vers 1230.

            Dans sa dévotion à Marie il transporte l'esprit chevaleresque propre au Moyen-Age, en développant par exemple l'idée d'hommage féodal dû la Vierge Marie. Il cite les poètes et philosophes de l'Antiquité autant que les Pères de l'Eglise - Jérôme, Grégoire, Augustin et Bernard. Il reste poète, son style est captivant et raffiné ; comme ses prédécesseurs, il émaille ses sermons de prières, traduisant des moments de ferveur. Il affectionne aussi la douceur de Jésus et la Bible.[22]

 

            Rappelons enfin que c'est au XIIIème qu'est composé le Grand Exorde[23], par Conrad, et aussi le grand roman de mystique cistercienne qu'est La Quête du Graal (composé entre 1214-1227) appelé aussi "le roman de Cîteaux" - oeuvre mystique qui exalte la Grâce, l'Eucharistie, l'Amour de Dieu et l'union divine.[24]

            Enfin, c'est principalement au XIIIème que se développe la mystique de nos grandes cisterciennes, ce que nous verrons au cours suivant.

 

 

 

 

 




                Annexe

Extraits de l’article de Martinus Cawley :

The Ancient Usages As Cantorial Science

 

            Gossuin, dans un dossier de miracles faisant suite à sa Vie d’Ida, nous parle d’une moniale, sinon la chantre du moins une des soeurs les plus empressées au chant. La fête de l’Ascension approchait, mais la moniale, ayant attrapé un rhume, avait le nez pris, et elle craignait de ne pouvoir chanter correctement pour la fête. Elle avait apparemment le sens de l’humour. Remarquant que d’autres soeurs et des amis priaient sur la tombe d’Ida et lui offraient des ex-voto en cire, moitié plaisantant elle promit de faire un moule en cire de son propre nez si Ida le lui débouchait avant une date limite. La sœur souffrante oublia vite sa promesse, mais pas Ida. Soudain son nez fut débouché, et la moniale, confuse maintenant de son incrédulité, offrit l’ex-voto en forme de nez.

            L’intérêt de ce petit épisode est de nous montrer comment une chantre médiévale vivait les moments forts de l’année liturgique. Cela vaut aussi la peine de remarquer combien le sens de l’humour, ou ce que Gossuin aime à appeler la familiaritas, pouvait aider à porter le fardeau de la direction du choeur.

            Dans sa Vie d’Arnolfe, Gossuin nous parle du petit contrat que des amis spirituels avaient l’habitude de faire entre eux à l’approche d’une fête. Ils se mettaient d’accord pour se retrouver dans un "compte à rebours" priant, dans l’espoir que, au jour de la fête, Dieu leur accorderait une profonde consolation spirituelle. Le nom qu’ils donnaient à ce genre de contrat était tiré des mots avec lesquels ils demandaient ce pacte : "Envoie-moi Dieu". De tels comptes à rebours avant les solennités étaient spécialement importants pour ceux des cisterciens qui ne comprenaient pas le latin ou la liturgie, mais pour un chantre aussi, l’approche d’une fête éveillait un enthousiasme croissant. La somnolence, entre autres, s’en trouvait dissipée, et la ferveur enflammée. Arnolfe lui-même, comme beaucoup d’autres frères convers, revenait des granges pour les solennités. Du fait que l’église de Villers n’était pas achevée, il assistait aux Vigiles dans un recoin de l’aile parallèle au choeur ; de là, il voyait les solistes, et sans comprendre un mot de ce qu’ils chantaient, il percevait la consolation que chacun éprouvait. A l’occasion, il leur faisait savoir, plus tard dans la journée, ce qu’il avait remarqué en eux.

            Il semble que la plupart des échanges entre Gossuin et Abond se sont déroulés au cours des "conférences", mentionnées aux Chapitres Généraux de 1232 et 1233, dans lesquelles toute la communauté était invitée à se rassembler autour de l’abbé et à échanger des paroles édifiantes sur des sujets pieux.

            Dans le cas de Gossuin et d’Abond, il semble que ces conférences avaient lieu aux solennités, après None. Les amitiés individuelles étaient hautement estimées, et apparemment, on acceptait que deux amis échangent entre eux pendant ces conférences ; personne ne semblait trouver à redire que deux amis parlent entre eux sans prêter attention à ce que disait le reste de la communauté.

            C’est ainsi que Gossuin, qui avait tant investi dans la préparation de la liturgie, notamment pour l’office de nuit et la procession s’il y avait, se tournait vers Abond, impatient de pouvoir retransmettre quelque chose de la célébration. Abond à son tour, particulièrement aux fêtes de la Vierge, avait une ou deux visions à raconter, dont le contenu était habituellement en lien avec les paroles mêmes des chants ou les gestes des cérémonies. Une fois, en la fête de st Bernard, Gossuin fut particulièrement ému d’entendre que pendant l’office de nuit, Abond avait vu Bernard lui-même, debout près de l’autel, jouissant du chant en compagnie de Jésus et de Marie ; Gossuin comprit alors que les paroles utilisées dans ces chants avaient été composées par Bernard lui-même, ce qui rendait d’autant plus gratifiante l’approbation que Bernard faisait de l’exécution.

            Une autre fois, à la Présentation, Abond raconte qu’il a eu une vision du Christ marchant aux côtés de l’abbé dans la procession. Après, pendant Tierce et la Messe, il vit la Vierge debout dans une stalle près de la sienne. A l’offertoire, il la vit qui l’accompagnait quand il monta à l’autel pour présenter son cierge - sauf qu’elle ne présenta pas un cierge, mais la Lumière du monde, son Enfant. En racontant cela, Gossuin se plaît à énumérer les antiennes et les versets chantés au moment des visions, et il n’hésite pas à indiquer si c’est le chantre, lui-même, qui les imposait. Dans un cas, cependant, c’est Abond qui impose l’antienne, et le psaume qui suit est imposé par la Vierge en personne - vêtue comme un moine cistercien, mais avec un voile de moniale, chantant avec une voix de toute beauté, et faisant avec grâce toutes les inclinations prescrites.


Questions possibles

 

 

·       Lire et résumer l'article sur le recrutement du Collège st Bernard, dans Cîteaux 1988 t.39 (1-2) p.65

 

§                          

 



[1] Bulletin d’Histoire Cistercienne 4,755

[2] BHC 2,522

[3] BHC 4,1217

[4] BHC 4,1210

[5] Pour réduire logement et nourriture, on décida que l’équipage, personnel non indispensable pour le CG, irait dans des granges ou abbayes voisines, les abbés seuls se rendant à Cîteaux. Certains faisaient des dons à l’occasion, comme par exemple Guiard, seigneur de Reynel, qui en 1204 accorde droit de pêche sur sa propriété 8 jours avant et 8 jours après le CG. Une contribution existait de la part des maisons, mais Parvus Fons nomme 2 abbés pour régler la chose de façon plus égale pour tous.

[6] après celle de 1134 : elle sera encore révisée en 1220, puis transformée en 1289 suite à Parvus Fons, cf. plus loin

 

[7] 1) fondation  2) novices, professions, bénédictions abbatiales  3) Opus Dei  4) privilèges  5) CG  6) chapitre des coulpes  7) Visite Régulière et Père Immédiat  8) officiers et ouvriers  9) moines en voyage  10) hôtes, sépultures  11) pauvreté  12) achats et ventes  13) nourriture et vêtement  14) frères convers  15) divers

[8] La Visite Régulière de Cîteaux par les 4 proto-abbés est fixée au 22 juillet (ste Marie-Madeleine)

[9] Le 1er fut Petrus Mir, en 1390, parisien, docteur en théologie, puis abbé de Grandselve

[10] Sans doute sous l’influence de la pratique franciscaine et dominicaine

[11] Une décision du CG de 1245 illustre la fin des "missions cisterciennes" : il demande que les moines récitent les 7 psaumes de la Pénitence + 7 Notre Père pour le succès des missions dominicaines et franciscaines.

 

[12] Sur st Louis et l'Ordre: DHGE (=Dictionnaire D’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques) 12, col 941+

[13] On a encore à la Bibliothèque de Troyes des manuscrits franciscains provenant du Collège st Bernard

 

[14] Il dit que ce studium est établit "pour la salut et l’honneur de l’Ordre, et pour la parure et la gloire de l'Eglise universelle".

[15] Cf article dans Cîteaux 1988, t.39 (1-2) p.65 : La promotion des études chez les Cisterciens à travers le recrutement des étudiants du Collège st Bernard de Paris au Moyen-âge.

Le Collège st Bernard sera supprimé en 1791 ; en 5 siècles, il aura fait 500 docteurs en théologie. Cf. article dans Cîteaux 1999, t.50 p.91-92 et tableaux 8 et 9 p.100-101

[16] cf. en annexe la traduction de quelques anecdotes illustrant comment on vivait la liturgie

[17] En tout, 29 nouvelles fêtes au XIIIème (cf. DACL déjà cité col 1800)

[18] Déjà au XIIème il est difficile dans certains cas de connaître la "nature" des possessions: par exemple, dans les chartes, quand le droit de l'Ordre interdisait d'acheter des terres, des ventes aux moines étaient souvent déguisées en dons! Ceci a été vérifié dans des chartes de Fountains au XIIème.

 

[19] On peut lire un témoignage intéressant de cette décadence en germe dans le Grand Exorde p.511

[20] En réalité, il semble qu'il y ait eu déjà à l'origine des ouvriers laïcs, mais ils deviennent maintenant beaucoup plus nombreux. On trouve aussi un cas intéressant de main d'oeuvre à Sobrado, dès 1140: il s'agit d'esclaves sarrasins! - sans doute pris dans des razzias chrétiennes. Dans le cartulaire du monastère, on trouve ainsi la généalogie de 3 générations: les premiers ont sans doute été cédés aux moines lors de la fondation en 1140, ou amenés avec ceux qui entraient. Ils travaillaient à la construction, à l'outillage, à l'habillement, l'alimentation. Les Cisterciens n'en affranchirent aucun. = BHC 2,1375

 

[21] Une recension dit ceci : "A la fois continuité et rupture par rapport aux courants contemporains, la spécificité de l'Ordre lui permit une extension rapide. Il ne put cependant pas échapper à toute dépendance, en  particulier économique et sociale, ce qui fut l'une des causes de sa décadence". = BHC 4,1171

[22] Signalons un autre auteur: CÉSAIRE d'Heisterbach; Le Dialogue des Miracles p.III-IX en donne une bonne présentation

 

[23] cf. la nouvelle édition, avec une table très détaillée des thèmes et de bons articles d’introduction ; à leur sujet, on peut lire ma recension dans BSM XIV,799 [370]

[24] cf. Collectanea 1956