ANNEXE

UNUS SPIRITUS DANS LA

BREVIS COMMENTATIO


I. LA BREVIS COMMENTATIO.

La Brevis Commentatio in Canticum est-elle une oeuvre de Guillaume ? La question s'est longtemps posée et se pose encore. D. A. Wilmart, par exemple, l'attribuait à S. Bernard (La série et la date des ouvrages de Guillaume de Saint-Thierry, dans : Revue Mabillon t. 14, 1924, p. 157-167). Les chercheurs les plus récents reprennent plutôt l'opinion de Mabillon : ce texte représenterait les minutes de l'entretien des deux abbés malades à Clairvaux (entre 1125 et 1130) et serait un écho de leur recherche commune (J. HOURLIER, Guillaume de Saint-Thierry et la Brevis Commentatio in Cantica, dans : Analecta S.O.C. t. 12, 1956, p. 105-114 ; S. CEGLAR, William of Saint-Thierry. The Chronology of his Life, with a Study of his Treatise On the Nature of Love, his Autorship of the Brevis Commentatio, Ann Arbor, 1972). Et Paul VERDEYEN remarque aussi que "la terminologie fait penser à Guillaume beaucoup plus qu'à saint Bernard" (Guillelmi a Sancto Theodorico Opera omnia. Pars I. Expositio super Epistolam ad Romanos. Cura et studio Pauli Verdeyen s.i., Turnhout, Brepols, 1989, p. XXIV). Et c'est pourquoi les Opera omnia, en cours de publication dans le CCCM, font figurer cette Brevis Commentatio parmi les oeuvres de Guillaume (ib., p. XXVI).

Il reste que ce texte n'a pas uniquement Guillaume pour auteur. Il convient, par conséquent, de ne pas le mettre sur le même plan que les oeuvres dont nous sommes sûrs qu'elles proviennent de Guillaume seul. On signalera donc les trois passages où apparaît la formule paulinienne unus spiritus, et pour chacun d'eux on donnera les éléments essentiels qui peuvent l'éclairer. Ce relevé permettra de se faire une idée de ce qu'est "l'unité d'esprit" dans ce texte et de percevoir si cela s'apparente ou non à ce qui a été trouvé ailleurs.

II. L'AMOUR EN SES TROIS ÉTATS, ET L'UNITÉ D'ESPRIT

(PL 184, 409 B 15).

1. Le troisième degré de l'amour : l'unité d'esprit.

Unus spiritus apparaît dès l'introduction de ce commentaire : lors de la présentation des trois états de l'amour pour Dieu. Ces trois états ("animal", "rationnel", "spirituel") sont en progression l'un par rapport à l'autre ; ce sont des "degrés" (in hoc gradu ; 407 C 13). Or l'"unité d'esprit" vient caractériser le sommet de la progression, le troisième degré. Elle est même la clé de voûte de la phrase qui clôt une première série de tableaux des trois degrés (407 C - 409 B 3) : c'est dans cette expression que vient se nouer le troisième degré de l'amour pour Dieu.

Mais le troisième degré est tout entier en dehors de l'homme, au-dessus de l'homme ; l'homme est tout entier en Dieu, il aime Dieu à cause de Dieu, ce qui est juste parce que c'est juste, ce qui est bon parce que c'est bon, non parce que c'est bon pour nous mais parce que c'est bon en soi :

si marqué (affectus) par Dieu qui est bon et juste qu'il préfère ne pas être plutôt que de ne pas être bon et juste, en Dieu.

Tel est l'amour fort comme la mort ; telle est la puissance qui, d'en haut, revêt les apôtres.

Devenue en effet un seul esprit avec Dieu, l'âme sainte ne peut pas plus supporter de s'écarter, ne serait-ce qu'un peu, de la justice que la justice elle-même ne peut supporter de cesser d'être justice (409 A 7 - B 3).

L'homme "est fait" un seul esprit avec Dieu dans le moment même où il a été "marqué", "mis en mouvement vers" Dieu par Dieu. Les deux verbes passifs se répondent : effecta - affectus.

Mais d'où vient cet élan vers Dieu (affectus), cette unité avec lui (Unus spiritus... effecta) ? Deux affirmations catégoriques servent de pont entre les deux participes passés. Ces deux déclarations commencent par un démonstratif qui pointe ce qui est à l'oeuvre en ce passage :

Tel est l'amour fort comme la mort :

Telle est la puissance qui, d'en haut, revêt les apôtres.

Haec est fortis ut mors dilectio : haec est virtus induens Apostolos ex alto (409 A 13-15).

La finale du Cantique oblige à reconnaître ici la plénitude de l'amour. L'allusion à Ac 1 oblige, elle, à nommer celui qui est à l'oeuvre dans cet amour même : la puissance d'en haut, l'Esprit Saint. L'Esprit "fait" que l'homme aime de l'amour le plus fort. L'Esprit est l'origine dernière de l'unité d'esprit ; et son opération suscite l'amour dont l'homme aime Dieu.

2. Autres descriptions du troisième degré.

Ce troisième degré de l'amour qui a reçu pour nom propre "unité d'esprit" est encore décrit de plusieurs manières dans une seconde série de tableaux présentant chacun les trois degrés (410 A - D). Or cette seconde série s'achève elle aussi sur la reconnaissance d'une unité accomplie, une unité énoncée et authentifiée par l'Évangile de Jean (17, 21-22).

...cet état supérieur... leur infuse quelquefois quelque affectus divin ou plus qu'humain, de sorte que d'une manière étonnante et non reconnue ils sont souvent surpris d'être enlevés au-dessus d'eux-mêmes ; et il les conduit et les instruit, de telle sorte que s'accomplira en eux cette prière du Seigneur : "Père, je veux que comme moi et toi nous sommes un, ainsi eux aussi soient un en nous".

L'oeuvre divine est ici au premier plan. Si, dans le premier texte, l'homme "était fait vers" Dieu (affectus), ici se découvre un affectus divin qui est "infusé" en cet homme et le fait s'élancer alors vers Dieu. La qualité de cet affectus reste cependant assez vague : il est "divin ou plus qu'humain" ; son nom n'est aucunement donné.

Le troisième degré de l'amour est donc adéquatement nommé unité d'esprit, dans la Brevis Commentatio ; cette unité n'est autre que cette "unité dans le Père et le Fils" pour laquelle le Seigneur a prié.

Devient un seul esprit avec Dieu celui qui "est fait vers" Dieu ; et cet élan suppose lui-même l'infusion d'un affectus divin. Or ce qui fait l'homme vers Dieu n'était autre que cette force venue d'en haut sur les apôtres, à savoir l'Esprit Saint. Si l'affectus divin ne dévoile pas ici directement qui il est, il met par contre en évidence toute l'initiative divine si "étonnante".


3. L'unité d'esprit est-elle rejointe uniquement au terme des degrés de l'amour ?

C'est elle qui est présentée comme le sommet (409 A 7 - B 3). Notons en passant que ce sommet n'est pas la fin de la progression ; voici en effet une des toutes premières indications données sur le troisième degré :

Dans ce degré, autant que tu auras progressé, tu pourras dire : "Et j'ai dit : Maintenant j'ai commencé".

In hoc gradu, quantumcumque profeceris, dicere poteris, Et dixi, Nunc coepi (407 C 13 - 408 C 1).

Ce troisième degré est radicalement séparé des deux autres. Il est impossible à l'état "rationnel" de se hisser jusqu'à ce troisième degré :

La discipline rationnelle n'obtient rien là où tout dépend de l'expérience de l'amour, de l'intelligence et de l'affectus.

Nihil enim ibi agit rationalis disciplina, ubi totum constat ex amoris et intellectus et affectus experientia (409 B 13-14).

Mais la suite du texte explique plus longuement comment ceux qui vivent le deuxième degré de l'amour peuvent "parfois" (nonnumquam, 409 C 2) bénéficier "de quelque manière" (quodammodo, C4) de la lumière de la clarté d'en haut (C 2 - 6). C'est là une consolation qui ne dure qu'un temps (momentanea quadam consolatione laetificans, C 8), "une demie-heure" comme le dit Ap 8, 1 (C 7).

Le troisième degré n'est donc pas en fait inaccessible : lui-même s'annonce à ceux qui en sont encore à l'"amour rationnel". Et l'expérience qui leur est alors accordée est un encouragement à aller de l'avant en même temps qu'une promesse, selon les mots de S. Paul : "Courez afin que vous saisissiez" (Currite ut comprehendatis, 409 C 9 ; I Co 9, 24).

Ainsi l'"unité d'esprit" propre au troisième degré de l'amour est une réalité unique, hors d'atteinte de ceux qui sont aux degrés inférieurs de l'amour pour Dieu. Mais l'expérience de l'"amour spirituel" (407 C 3), - et donc aussi l'"unité d'esprit" qui en est comme le nom propre -, est donnée quelquefois, pour un temps, afin qu'ils "courrent" vers ce qui leur manque encore : une unité sans fin avec Dieu dans "l'amour, l'intelligence et l'élan du coeur" (ubi totum constat ex amoris et intellectus et affectus experientia ; 409 B 13 - 14).

4. Conclusion.

Cette description rapide de l'unité d'esprit telle qu'elle apparaît dans l'introduction de la Brevis Commentatio manifeste déjà bien des éléments semblables à ceux que l'on a pu trouver dans les autres oeuvres de Guillaume. Citons, à titre d'exemple, le rapprochement entre affectus - effectus (409 A 11 et B 1), l'"infusion" par Dieu (410 D 10), la présence de Jn 17, 21 et 22 (410 D 12-15), l'idée d'un don "pour un temps" de ce que sera l'unité d'esprit comme plénitude finale. Tous ces traits correspondent à l'usage de I Co 6, 17 dans les oeuvres de Guillaume.

Un trait capital figure aussi en bonne place : l'unité d'esprit comme oeuvre de l'Esprit Saint, "la force d'en haut" (409 C 14). Cependant son nom propre n'apparaît nulle part. C'est au lecteur qu'est laissé le soin de le reconnaître dans la finale de l'exposé sur les trois degrés de l'amour : à ceux qui vivent ce troisième degré, est infusé "quelque affectus divin ou plus qu'humain" (410 D 9). Seule cette forme toute relative de silence par rapport à l'Esprit pourrait quelque peu étonner.

III. LE BAISER DÉSIRÉ : L'UNITÉ D'ESPRIT (Ct 1 ,1 ; 411 B 9).

"Être un seul esprit avec Dieu" revient presque aussitôt, au tout début du commentaire du premier verset du Cantique. Ce premier verset, en effet, s'offre au lecteur de l'intérieur d'un avertissement : toute l'oeuvre accomplie par Dieu passe par ce qui est visible afin de nous faire comprendre ce qui est invisible ; cet avertissement veut préparer à la lecture correcte du texte : l'osculum de Ct 1, 1. Or, avant même que le terme osculum n'apparaisse, il a déjà reçu d'autres noms tels ceux d'"affection spirituelle" et d'"unité d'esprit" :

En toute affection charnelle, rien n'est plus doux, d'ordinaire, rien n'est plus désirable que l'union de l'Épouse avec l'Époux ; dans l'affection spirituelle, rien n'est plus doux, plus désirable que l'union de l'esprit créé avec l'esprit incréé.

Là en effet les deux deviennent une seule chair ; ici les deux deviennent un seul esprit.

D'où, étant donné la ressemblance qui mène de ce qui est charnel à ce qui est divin, ceux qui sont décrits ici sont l'Époux et l'Épouse, le Christ et l'Église ou n'importe quelle âme sainte,

qui, ayant déjà éprouvée quelque peu les deux premiers degrés de l'amour, aspire désormais au troisième, et brûle de s'épancher toute entière au-dessus d'elle-même vers l'amour et la douceur de l'Époux, et désirant maintenant l'embrassement de son amour et le baiser de sa connaissance elle dit : Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (411 B 5 - C 3).

1. Rien de plus désirable... que l'unité d'esprit.

Le commentaire proprement dit des premiers mots du Cantique s'ouvre par l'énoncé du désir le plus grand. Ce qu'il y a de "plus doux", de "plus désirable" reçoit deux noms : "union de l'esprit créé avec l'esprit incréé" repris ensuite en celui d'unité d'esprit (411 B 6-9).

Or l'Épouse qui "désire" (elle "aspire", elle "brûle", elle "désire" ; anhelat ad, gestit, desiderans ; B 14 - C 2) veut aller au-delà des deux premiers états de l'amour et parvenir "au troisième" (jam anhelat ad tertium). L'unité d'esprit, objet ultime des désirs de l'Épouse, correspond donc à ce degré supérieur de l'amour ; elle est cette expérience (cf. experta, B 13) plénière que l'Épouse appelle de tous ses voeux.

2. Être un seul esprit.

"Les deux deviennent un seul esprit" (de duobus unus spiritus efficitur B 9). Ces deux ont été nommés : il s'agit de l'esprit créé et de l'esprit incréé. Leur union est une "conjonction" (B 7), mais une "conjonction" telle qu'elle mérite le nom d'"unité d'esprit".

Dans cette union, l'esprit créé et l'esprit incréé semblent ne pas intervenir de la même façon : le premier est comme en mouvement vers (ad) le second ; ce qui nous vaut une description étonnante, parce que non totalement réciproque, de l'union charnelle entre l'épouse et l'époux : une "conjonction de l'épouse vers l'époux" (B 6). Seule l'Épouse, Église ou âme sainte, s'élance vers son Époux. De ceci on peut inférer que, si l'Époux est actif, il le sera d'une autre manière.

Cette épouse ainsi tendue vers l'Époux ne diffère pas de celle qui désire l'union. Comme il est dit quelques lignes plus loin, "elle brûle de s'épancher toute entière au-dessus d'elle-même vers l'amour et la douceur de l'Époux" (411 B 14-15). Un même mouvement l'anime : "vers... l'Époux" (in... sponsi...). Mais on voit mieux à présent qu'en cela toute sa personne est engagée (totam) et que cet élan est tout en même temps une ouverture totale d'elle-même (effundere) dans une direction qu'elle reconnaît comme l'"au-dessus d'elle-même". C'est là un geste d'exposition totale de soi, d'offrande radicale à quelqu'un qui la dépasse. À quelqu'un qu'elle pressent cependant comme cet "amour" et cette "douceur" (in sponsi amorem et dulcedinem) qui répondent à son plus grand désir (nihil dulcius, nihil... desiderabilius ; B 6).

L'objet du désir n'est pas seulement "amour" et "douceur". Il reçoit encore un autre double nom : "elle désire maintenant l'embrassement de son amour et le baiser de sa connaissance" (jam amplexum amoris ejus et osculum notitiae ejus desiderans ; C 1-2). Double nom qui revient plusieurs fois dans le commentaire de l'osculum. En particulier, lorsque l'identité dernière du "baiser" est révélée :

(L'Esprit Saint) lui-même est le baiser : le baiser nous touche, lorsque l'Esprit s'infuse en nous par une double grâce, c'est-à-dire par la connaissance et l'amour de la vérité.

...per Spiritum sanctum. Ipse est itaque osculum : ipsum tangit nos, cum se genuina nobis gratia infundit, id est cognitione et amore veritatis (413 A 11-13).

Celle qui veut goûter la connaissance et l'amour de son Époux désire en fait l'Esprit Saint lui-même qui "s'infuse" en celui à qui le Fils veut révéler le Père.

3. Conclusion.

Cet emploi de I Co 6, 17 montre beaucoup de points de contact avec ceux des oeuvres de Guillaume. L'unité d'esprit est le sommet de l'itinéraire spirituel. Elle est la conjonction de l'esprit créé et de l'esprit incréé. Chacun de ces deux a un comportement propre par rapport à l'autre : l'Épouse est tendue "vers" l'Époux, elle "s'épanche tout entière au-dessus d'elle-même" ; l'Esprit, qui est le baiser réclamé, "s'infuse". Relevons que c'est par le rapprochement de deux passages assez éloignés l'un de l'autre, à l'intérieur du même commentaire de Ct 1, 1, que l'on est amené à conclure que l'objet dernier du désir, l'unité d'esprit, est l'Esprit Saint lui-même.

IV. L'UNITÉ D'ESPRIT DANS LE "PETIT LIT FLEURI" (430 C 2).

Comme dans l'Exposé sur le Cantique, l'unité d'esprit apparaît encore à propos du lectulus noster floridus :

Comme elle est bienheureuse l'âme qui dans ce petit lit est devenue un seul esprit avec Dieu, qui y jouit du baiser de l'intelligence de Dieu, qui là, par l'embrassement de son amour, enserre fortement et est tenue bien serrée, et qui, ainsi dans ce même petit lit, dort en paix et repose ! (430 C 1-5).

1. "Ce petit lit...".

Qu'est-ce que "ce petit lit" qui voit s'effectuer l'unité d'esprit ? C'est "le lit de la conscience pure" comme l'indique la phrase qui précède (...in lectulo purae conscientiae perfruar conjunctione dulcedinis tuae ; B 15 - C 1). Comme le petit lit du Cantique, cette conscience est "nôtre" : "non pas mien, ni tien, mais nôtre" (non meus nec tuus, sed noster ; B 5). Ce qui signifie que l'Épouse et l'Époux y sont à l'oeuvre, la première "par la confession", le second "par la grâce et l'illumination" (meus per confessionem, tuus per gratiam et illuminationem ; B 5-6). Une coopération tout à fait analogue est encore signalée quelques lignes plus loin : "la sollicitude de l'Épouse et la grâce de l'Époux" (gratia tua et sollicitudine mea ; B 12-13). L'unité d'esprit a pour cadre ce lit de la conscience préparé par l'un aussi bien que par l'autre, mais chacun à sa manière.

2. L'unité d'esprit.

Quand a lieu l'unité d'esprit, l'Épouse bienheureuse reçoit un double bienfait, énoncé en deux propositions juxtaposées à celle qui déclare l'unité : un bienfait de l'ordre de la connaissance, l'autre de l'ordre de l'amour, ces mêmes bienfaits que désirait ardemment l'Épouse dès l'ouverture du Cantique (411).

"Elle jouit du baiser de l'intelligence de Dieu" (osculo intelligentiae Dei perfruitur ; C 2-3). La jouissance est le signe de ce qu'elle a vraiment reçu quelque chose ; et ce à quoi elle semble avoir eu part ne paraît être rien d'autre que "l'intelligence" que Dieu a de lui-même.

Par ailleurs l'Épouse se trouve "dans l'embrassement de son amour" (amplexu amoris ejus ; C 3), prise dans l'amour qui est le sien. Par l'unité d'esprit, l'Époux a entraîné l'Épouse en lui : dans la connaissance et l'amour qu'il est.

Et pourtant l'Épouse ne cesse pas d'être Épouse et d'agir comme telle. Au sein de l'unité d'esprit, elle n'est pas seulement tenue "serrée fortement" par l'Époux, mais elle aussi le tient "serré fortement" (astringit et astringitur ; C 3-4). Une vraie réciprocité existe jusque dans l'unité elle-même. Comment pouvait-il en être autrement puisque le petit lit ne s'est annoncé qu'au moment où l'un et l'autre se sont découverts tous deux "beaux", tous deux "aimés" (430 B 1-3) ? Tout naturellement le même échange se parachève et se poursuit dans l'unité d'esprit.

3. Conclusion.

Deux aspects de l'unité d'esprit décrite ici recoupent ce que l'on trouve ailleurs chez Guillaume. D'une part l'homme est comme saisi par Dieu et entre ainsi, par l'unité d'esprit, dans la vie même de Dieu, son intelligence, son amour. D'autre part, l'unité d'esprit, tout en étant une unité réelle avec Dieu, au point qu'elle donne de prendre part à sa vie, est en même temps le lieu par excellence de la rencontre et de l'étreinte mutuelle.

V. LA BREVIS COMMENTATIO PAR RAPPORT AUX OEUVRES DE GUILLAUME.

Il ne semble pas nécessaire d'élaborer une description générale de l'unité d'esprit selon la Brevis Commentatio. La rapide analyse entreprise ci-dessus suffit pour mettre en évidence de nombreuses analogies quant à l'usage et à la signification de cette formule, l'unité d'esprit, dans la Brevis Commentatio et dans les autres oeuvres de Guillaume.

Ceci étant dit, on ne peut en tirer un argument dirimant certifiant que Guillaume est l'auteur de cette Brevis Commentatio comme il l'est de la Lettre d'Or ou de l'Exposé sur le Cantique. Mais l'étude de ce point, dont l'étendue littéraire est somme toute restreinte, oblige cependant à reconnaître tout au moins que la terminologie utilisée y est guillelmienne (ce que P. VERDEYEN disait déjà au sujet de l'oeuvre considérée dans sa totalité : Guillelmi a Sancto... p. XXIV), et même que l'unité d'esprit de la Brevis Commentatio est en parfaite consonance avec l'unité d'esprit telle qu'elle figure dans les autres oeuvres de Guillaume.



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