Pédagogues de vie et de bonheur (Ch. 58 et fin du Prologue)
Sr. Aquinata Böckmann,
OSB
Comment
être heureux ? C’est une demande fondamentale aujourd’hui. Et on a tant de
moyens pour arriver à un certain bonheur. Il y a tant de médicaments pour écarter
la souffrance, pour fortifier la vie, pour se sentir bien et aussi des drogues
pour faire expérimenter le bonheur. Le bonheur ne dure pas trop de temps, et il
faut prendre toujours plus et plus pour y arriver. Un cercle vicieux. Dans
notre société, quand il y a un désir, il faut le satisfaire tout de suite. On
ne veut pas attendre. Image : Instant – tee, café…
Parfois
aujourd’hui l’image des Sarabaïtes et Gyrovagues
tient : 1,8 « la loi est la satisfaction de leur désirs ». Et
pour les Gyrovagues, « ils sont asservis aux plaisirs » (1,11). Le
Maître dans sa satire décrivait, que, chaque fois quand il s’agissait de
travailler, ou de prier, ils échappaient, en prétendant d’avoir d’autres choses
à faire. Nous avons encore quelques textes de la RB qui nous mettent en garde
contre cela : 5,12 « ils n’obéissent pas à leurs désirs et plaisirs…
« , et le deuxième degré d’humilité dit que les moines « ne se
complaisent pas dans l’accomplissement de leurs désirs » (7,32). Et encore
le chapitre 4,12 dit catégoriquement : « ne pas embrasser les
plaisirs » (delicias). Est-ce à dire que la RB ne veut pas le
bonheur pour nous ?
Dans
cette deuxième conférence je voudrais souligner la pédagogie de vie et
de bonheur. Comme vous êtes des responsables pour les candidats à la vie
monastique, je voudrais jeter un regard bref sur le Maître du noviciat dans le
chapitre 58, après sur SB même comme il se comporte envers le candidat (Prol 45-50), pour après retourner au chapitre 58,7-8. Comme
introduction au thème le Nr. 1 : Relations au bonheur dans la vie
monastique.
1. Relations au bonheur dans la vie
monastique
Comment
est la réaction dans les monastères, l’attitude vers ce qu’on peut appeler avec
des mots différents : plaisirs, bonheur, être heureux ?
De
la gamme des possibilités j’énumère seulement trois :
Dans
nos monastères il y a quelques fois aussi l’idéologie d’un certain
hédonisme ; il faut que tous les individus se sentent bien et heureux,
réalisés … C’est peut-être la minorité.
On
peut aussi essayer d’arriver à une certaine impassibilité, l’extinction des
passions, de la sensibilité, aussi de la vulnérabilité. Quelques courants des
Pères du désert allaient dans ce sens. Devenir comme des statues. « On vit
la vie monastique, les émotions ne comptent pas ». Il me semble que
aujourd’hui on se rend bien compte que c’est de la philosophie passée.
Une
autre possibilité aussi : une mentalité passioniste que nous rencontrons
dans la RM : plus on souffre, mieux c’est. Donc guerre contre les
plaisirs. Le plus heureux on sera dans l’au-delà.
1.1
Le Maître décrit longuement la douce vie après la
mort : « Dans la splendeur de cette terre nous attendent « des
fleuves où le miel et le lait, le vin et l’huile coulent »… sur leurs
rives les fruits variés … - Aucune faim ne pousse à s’en nourrir… mais quand
les yeux des saints se sont rassasiés de leur vie, chacun, en outre, ressent
dans sa bouche le goût qui lui est délicieux…. Son d’instruments… La douceur (dulcis) de ces voix charme tellement l’oreille des saints,
que la mélodie du chant, par son exquis agrément fait gazouiller l’esprit et
redouble son exultation… éclat de la lumière terrestre. Dans cette exultation,
les saints, brillant de l’image céleste, se réjouiront d’être délivrés de la
perdition et d’avoir mérité de Dieu pour toujours ces célestes richesses. Mais
quel chemin prendre pour parvenir à ce but ? » (3,86 -95)
De
même à la fin du chapitre de l’humilité. « Aucun dérangement ne vient
empêcher les jouissances. Aucun souci absolument, ne vient ici troubler la
sécurité. La grâce règne dans le charme des bosquets, la splendeur dans l’air
plein d’agrément ; les yeux sans cesse ouverts se remplissent de beauté et
d’élégance… L’assouvissement de l’amour
ne consiste pas en nourriture et en boisson, mais en vue, odorat et ouïe. Le repas qui entre dans la bouche doux à
goûter comme du miel, prend dans la bouche d’un chacun la saveur qui lui est la
plus agréable. Enfin, dès que l’âme désire quelque chose, un effet immédiat
répond à son désir » (10,100-114) « Dans cette jouissance de
richesses immortelles, le possesseur ne disparaît pas … « (117). Puis sa
théorie apparaît : « Heureux ceux qui pourront s’élever jusqu’à cette
région immortelle par l’échelle de l’observance dans le temps présent, en
montant les degrés de l’humilité, afin de se réjouir avec Dieu dans cette
perpétuelle exultation » (10,119s).
Ces
beaux textes qui décrivent le bonheur complet – intégral – sensuel même, -
« malheureusement » SB les a effacés ! Pourquoi ? A cause
probablement de cette perspective – le plus je souffre ici, donc le plus
malheureux je suis ici-bas, – le plus je me réjouirai, le plus heureux serai-je
dans l’au-delà. Cela pourrait conduire à des pratiques comme : se faire du
mal, mettre les fardeaux sur les épaules (des autres), avoir attention à ce que
le candidat ait assez de choses durs, âpres et difficiles. Et les faire
artificiellement. Cela veut dire pour notre thème : la pédagogie du
bonheur serait dans ceci : de faire souffrir, pour avoir le bonheur au
ciel. « Vie », »bonheur » seraient des dons du ciel. Ne
croyons pas que ce concept est tout à fait passé. Il peut y avoir même une
joie : je souffre à cause du Christ. (C’est même biblique). Je me rappelle
un directeur spirituel qui disait à une jeune, qui voulait entrer dans un monastère
déterminé : ou tu deviens folle, ou sainte. Certes est, que ces épreuves –
pour des gens de bonne santé psychique (mais je ne sais pas si telles entrent
souvent aujourd’hui dans les communautés), forcent la personne, d’approfondir
son choix fondamental, la poussent vers le Seigneur, l’unique bien. Mais je
crois que la vie monastique, partout où elle est vécue, nous force déjà dans
cette direction.
1.2
Quand on regarde tous les mots qui expriment le bonheur, le plaisir, dans la
RB, ce serait :
fortuna
(bonheur) : manque,
felix
(heureux) et felicitas (bonheur) : manque,
delicia
(délices) : une fois dans le sens négatif ;
voluptas
(plaisir)- négatif - donc pas de bonheur ?
D’autres
comme delectatio (plaisir, amusement) généralement
négatif, avec une seule exception 7,69 à la fin, où on se réjouit de la vertu,
hilaris
(joyeux) : vient une fois, que Dieu aime celui qui donne avec joie (5,16,
contexte de l’obéissance),
gaudium
(joie)ou gaudere (être joyeux) – vient trois fois,
mais dans des contextes où on ne le soupçonne pas : dans le Carême, et au
4. degré d’humilité (49,6.7 ; 7,39),
dulcis
(doux), dulcedo (douceur) : revient trois
fois dans le sens positif : Prol 49,
19 ; 5,14
Qu’est-ce
qu’on peut tirer de cette liste ? Qu’il faut bien distinguer. Il y a joie,
plaisir, mais attention à quoi on attache le plaisir et la joie ; la joie
n’est pas liée à des situations favorables. Et puis, il semble qu’il y a un
progrès, à la fin on éprouve plaisir de la vertu, on court avec la douceur
indicible de l’amour (Prol 49). Donc il semble que
cela a à faire avec un progrès (chemin) spirituel, et avec l’amour.
2. RB 58,6
Comment
accompagner sur ce chemin ? SB dit que l’accompagnateur doit être un
« senior », un ancien. Pas
forcément un ancien selon l’âge biologique, mais selon l’âge spirituel,
quelqu’un qui a expérience. On pourrait spécifier : expérience de Dieu et
de soi-même, expérience en communauté, et de ses hauts et bas. Et qui a la
« discretio spirituum »,
très nécessaire dans ce thème de bonheur et de vie.
Apte à gagner les âmes. Gagner en latin est « lucrare »
- dans ce mot on voit encore que c’est un gain, une valeur, qui vaut. « Lucrare animas » – certes ce sont des personnes. Mais
quand SB emploie le mot « anima », généralement il veut désigner la
personne en tant que orientée vers sa destination finale. On pourrait
dire : pour la vraie vie, la vie qui dure. C’est une manière aimable
d’attirer des personnes – non à soi, mais au Christ qui est la vie. S Paul dit
qu’il veut gagner les personnes au salut. C’est pourquoi il est devenu tout
pour tous (1 Cor 9,22). Nous voulons gagner les candidats pour le vrai bonheur,
pour la vraie vie.
Il veille sur eux avec la plus grande
attention (curiose intendere). Donc il prend soin (cura) du candidat. « cura « pourrait venir de
« cor » et « urere » - cela veut
dire : le cœur brûle pour le candidat. Il l’aime vraiment. « Intendere », attention est une attitude plutôt
réceptive que active, laisser l’autre être lui-même, et l’accompagner plus
loin. Dans cela il est une image du Seigneur qui veille sur nous (Deus in adiutorium meum intende).
En
tout on pourrait dire qu’il est l’image de la bonté du Seigneur et de son amour
pour les hommes. Ainsi il peut être pédagogue pour la vie et le bonheur. Comme SB.
3 Prologue 45-50
Maintenant
je voudrais regarder ce passage du Prologue du point de vue de SB accompagnant
le candidat, comment il le fait, comment il conduit, - comme miroir pour le
Maître du noviciat.
Regardons
d’abord la position de ce paragraphe dans le Prologue. Notre passage Prol 45-50 fait
parti de l’inclusion.
Prol
1-7 a beaucoup de thèmes parallèles au Prol 40-50.
Mais si vous regardez de près, les versets 46-49 échappent. Ce sont justement
les versets que SB a ajoutés au texte du M. Et je crois que ces versets ont été
ajoutés assez tard, comme expression de la maturité de l’auteur, de son
expérience personnelle. Et ils ont à faire avec l’accompagnement spirituel et
le bonheur.
Regardons
le contexte. V.45 : Nous aimons appeler nos monastères : écoles du service du Seigneur. Mais
c’est justement un concept du M. Ecole, où tous apprennent l’art spirituel, c.
a. d. comment lutter contre le diable, sous la guide de l’abbé. On ne souligne
pas la dimension horizontale. Quand même SB l’a copié, donc il semblait pouvoir
en tirer quelque chose de positif, mais non sans tout de suite corriger le M
avec les versets 46-49. Scola, école, lieu, groupe, chemin où on apprend le
service du Seigneur ! Pour le service, ou qui a comme contenue
le service ! Mais l’adjectif « dominici » qu’est-ce qu’il
signifie ? On a montré, que dans la règle cet adjectif veut dire : du
Seigneur, comme un génitif subjectif. Ainsi « dominicum
praeceptum » c’est le précepte que le Seigneur a
enseigné, « dominicis ovilibus »
veut dire dans les bergeries du Seigneur, qui appartiennent au Seigneur.
« Oratio dominica »
est la prière que le Seigneur a enseignée. Donc « scola
dominici servitii » pourrait être traduit ici –
il me semble probable – « le service du Seigneur, que le Seigneur nous
donne, qu’il enseigne, comme il a servi ». Donc nous apprenons du
Seigneur, comme il a servi. C’est très proche de l’expression : « scola caritatis ». (C’est la
même chose : le lavement des pieds : imitation du Seigneur, laver
comme le Seigneur a fait – mais aussi les laver au Seigneur), donc service
aussi au Seigneur, cf aussi obéissance). L’expression
dit quelque chose pour notre thème : on apprend, on est en chemin, et on
accompagne (pédagogie) – le service que le Seigneur fait… donc tout est orienté
vers le Seigneur, le Christ. LUI est le point de référence de ce passage. Cela implique aussi que avant que nous
commencions à agir, c’est le Seigneur déjà qui nous servit, qui nous prévient
et nous fait cadeau de son service.
Après
ce verset, le M continue tout de suite : « ainsi ne nous éloignant
jamais de son enseignement, persévérant dans sa doctrine au monastère jusqu’à
la mort, nous méritions de participer par la patience, dans la souffrance du
Christ, afin d’être rendu digne d’avoir part aussi à son royaume » (voire
dans la RB Prol 50).
Nous
avons vu la perspective du M : ici sur la terre c’est la patience, les
passions du Christ, – et dans l’au-delà il y a le bonheur, la vraie vie.
Il
est important dans notre contexte, que SB sente le besoin d’insérer quelques
versets, que nous allons prendre maintenant. Ici une autre perspective
apparaît, qui n’est pas totalement contraire à la première, mais certes la
complète (avec RM : ici – au-delà ; B seul : commencement –
progrès). Nous regardons ces versets l’un après l’autre ; ils peuvent nous
aider dans l’accompagnement spirituel en ce qui concerne le thème :
pédagogie de vie et de bonheur.
Dans
le v. 46 : il y a déjà une réaction contre le M : Dans cette
école, nous l’espérons, nous n’imposerons rien de dur, rien de pénible. SB n’a
pas l’intention d’imposer des choses dures et douloureuses. Cela arrive (et il
en parle au ch. 58,8), mais ce n’est pas son orientation, son intention. C’est
en concordance avec l’Evangile : « Mon joug est aisé et léger »
(Mt 11,30). Donc, même si les choses paraissent âpres et lourdes, au fond le
joug est léger, puisque c’est le joug du Seigneur. Et dans la RB, on serait
d’accord avec Saint Honorat « de rendre le joug du Christ léger pour les
frères » (VitHon 4,18). (Pensons, comme dans la
RB, SB console, encourage, allège, est soucieux que le travail ne soit pas trop
lourd…). SB Maître des novices et nous! Ici apparaît le souci de n’imposer
des choses lourdes exprès, pour humilier, pour faire souffrir… (contraste avec
le M).
V.47 Mais s’il se présente quelque chose d’un petit peu
rigoureux … « paululum restrictius ». On ne peut pas éviter toutes les rigueurs -
ce qui serait aussi un chemin sûr pour avoir une vie malheureuse. Ici on voit
une figure paternelle, celle de SB se penchant sur le candidat nouveau. C’est
presque maternel. Et il semble le comprendre, dans les difficultés il montre
l’horizon, et donne des raisons, en tout trois :
Raison d’équité. Equité est la justice qui donne à chacun ce qui lui est dû
et ce dont il a besoin. Dans une communauté cela peut porter à l’individu
quelque chose de difficile, spécialement dans notre contexte d’individualisme.
2.
raison : pour la correction des
fautes, puisque nous sommes tous des hommes pécheurs. Le nier serait le
contraire du bonheur, même si cela apparaît paradoxal. Rappelons-nous le v. 38
du Prologue, que Dieu dans sa bonté dit qu’il ne veut pas la mort du pécheur,
mais qu’il se convertisse et vive. Donc la vraie vie et le vrai bonheur qui
sont liés à la conversion.
3.
raison : pour garder la charité.
C’est certainement le sommet. Charité qui pourrait être synonyme avec bonheur,
mais pour la garder, dans le quotidien, cela comporte quelques étroitesses et
des renoncements personnels. Comme nous allons le voir plus loin : de
faire de l’autre le centre, ce qui demande un dépassement de soi, une auto -
transcendance (RB 72).
Donc
pour l’accompagnement dans les crises et difficultés, SB donne des raisons, des
motivations, et ne demande pas l’obéissance aveugle.
V.48 : l’admonition de ne pas fuir, troublé par la peur. Il
semble que SB puisse comprendre, que quelqu’un soit saisi de terreur (per-territus), surtout au commencement. « Ne fuis pas
tout de suite pris de panique ». De l’autre côté il ne demande pas trop
aux faibles, mais il veut aussi donner aux forts, ce dont ils ont besoin
(64,19). Il souligne : ne pas échapper, te soustraire, mais
envisager et accepter: tu est pris de panique. Ce n’est pas mal, c’est
déplaisant. SB aide a nommer l’angoisse, la difficulté et à aller plus loin. Le
bonheur ne consiste pas dans ceci d’éviter toute sorte de souffrance, de
désagréable.
C’est
le chemin du salut – pour celui qui
est appelé, ce n’est pas un chemin quelconque, qu’on peut marcher ou non, c’est
le chemin de la vie pour lui. Il serait donc grave de s’en écarter. Avec la
parole « salut » nous avons une autre parole de notre champs
sémantique : bonheur, vie, félicité, salut. Salut – « salus » aux origines dit santé, se sentir bien (wellness), bonheur.
Ce
chemin est étroit au commencement.
« La porte est étroite » avait dit l’Evangile (Mt 7,13). SB ne dit
pas que la voie devient large après. La porte étroite signifie : laisser
tout derrière soi, se mettre résolument en route sans faux attachement, sans
hésitation, sans regard en arrière. Nous ne pouvons pas épargner les rudesses
aux candidats – ils appartiennent au chemin de suivre le Christ.
V.
49 : on avance dans la vie monastique et la
foi (conversatio et fides). Cette expression nous
dit, que la vie monastique est une vie de foi. Donc nous sommes au
milieu de notre thème : la vie de bonheur sera lié à la vie monastique,
avec la foi – certes ancrée dans Jésus Christ.
On
court avec le cœur dilaté. Cette
expression provient du Ps 118,32. « Tu élargis mon cœur ». (de Vogüé a montré comment SB avait un problème comment
concilier les deux textes du « joug léger » et de « la porte
étroite », et comment la solution lui venait du psaume 118.) Donc il est sûr, que ce n’est pas le fruit de
notre effort, mais de sa grâce. Ici il faudrait voir de nouveau les commentaires
des Pères à ce Psaume. Ils expliquent la largeur avec la présence du Saint
Esprit, du Christ, ou même de la S. Trinité. Maintenant c’est Dieu qui agit en
nous, et nous ne percevons plus l’étroitesse du chemin, qui reste étroit. Tant
de Pères écrivent sur cela. La pusillanimité rend le cœur étroit, mais l’amour,
surtout l’inhabitation du Seigneur, rendent le cœur large (cf
après : RB 72).
Et
tout cela pour SB – c’est sa propre expérience – se fait avec la douceur indicible de l’amour. Chemin
ouvert sur un progrès intérieur, que Dieu prendra la chose en main, remplira le
candidat avec son amour, - n’est ce pas là que nous nous orientons dans
l’accompagnement spirituel ? Et de temps en temps mentionner qu’il existe
un progrès ; cela donne courage d’avancer. Significatif : c’est
l’amour ! donc l’amour qui se donne à l’aimé.
On court le chemin des préceptes – donc après une expérience de Dieu (comme cela arrive
aussi dans le noviciat) on ne doit pas quitter la vie communautaire, pour avoir
des conditions meilleures … C’est très sobrement le chemin des préceptes, des
commandements. Et le chemin du salut.
Ce
v. 49 nous fait entrevoir le cœur et la personne de SB et son expérience de
Dieu. Il semble presque oublier sa réserve habituelle : son langage par
ailleurs si sobre, devient presque lyrique. Mais tout de suite il se ressaisit.
C’est
une grande aide si nous avons dans la communauté quelques personnes qui
reflètent cette expérience. Peut-être quelques petites traces ! Quelques
signes d’un cœur dilaté ! Mais cela vaut aussi pour la personne du
candidat elle-même. Si la personne se rétrécit, se cramponne, tourne autour
d’elle-même d’une manière maladive, - ce ne serait certainement pas un bon
signe de vocation et de progrès monastique. Une certaine joie non figée, et si
vous voulez un bonheur de temps en temps, qui ne se doit pas toujours se
manifester sur le visage.
SB
a le courage de poursuivre avec le V. 50 : (attention dans mon
livre on a pris le français fondamental) « ainsi, ne nous éloignant jamais
de son enseignement, persévérant dans la doctrine au monastère jusqu’à la mort,
nous participerons par la patience, dans les souffrances du Christ, afin d`être
rendu digne d’avoir part aussi à son royaume ». Ici nous avons un autre
schéma, pas : commencement et progrès, mais : ici sur la terre – et à
l’au-delà (cf avant : RM). Sur cette terre,
aussi dans le monastère il s’agit surtout de persévérer, d’avoir patience, ne
pas s’éloigner. On peut très bien apprendre cette phrase par cœur : magisterio, ... ad mortem in monasterio
– puis les p : perseverantes, passionibus … patientiam participemur. Comme nous avons vue, c’est
l’unique perspective du M. Pour SB cette phrase suit celle du cœur dilaté avec
l’indicible douceur de l’amour. Est-ce une contradiction ? Je pense que
non. Quelle serait cette douceur qui existe seulement pour les temps
propices ? Si c’est une qualité
mystique, très profonde, alors cela va très bien ensemble avec les difficultés.
La douceur profonde des passions, la joie si profonde qu’elle ne s’ébranle pas
avec les souffrances. La patience qui peut devenir une expression
d’amour ! Il s’agit d’une transformation de la situation, - on y voit un
sens : nous participons aux souffrances du Christ. C’est un sommet de la
RB (ensemble avec le V. 49). On ne peut pas l’exiger, c’est clair que c’est un
don. Et il ne faut pas en faire un précepte pratique pour tous les jours.
Donc
une pédagogie qui comprend le candidat, et qui englobe aussi le désagréable, la
souffrance, mais qui sait motiver, donner le sens, et montrer vers un progrès
possible sur ce chemin.
4. RB 58,7-8
Avec
cela on peut retourner plus concrètement au chapitre comment on accueille des
frères, qui est le nôtre. Nous l’avions laissé avec le V. 6, l’image du Maître.
Le
texte ajoute dans le v. 7 « il aura sollicitude ». Cela vient de
« sollus » - tout - entier. A la
sollicitude du Maître répond le « si sollicitus
est » du candidat : - s’il s’applique avec soin… Mais la sollicitude
principale va à l’orientation totale du candidat : « si revera Deum quaerit » –
s’il cherche vraiment Dieu. Le « revera » est important. SB sait, et nous le savons
aussi, qu’on peut alléger tant de fois, qu’on cherche uniquement Dieu,
uniquement l’amour (si c’est trop haut, trop surnaturel – il y a raison pour se
méfier). On le perçoit plutôt dans la sobriété du quotidien que dans des
grandes déclarations. SB dit dans un autre chapitre : « ami à quoi
es-tu venu » (60,3)? La traduction de Vogüé
ne donne pas le sens exact : « pourquoi es-tu venu « ?
Qu’est-ce que tu veux au fond ? A quoi est-tu venu, à une vie de sécurité,
à un Dieu qui satisfait tout ce que tu veux ? Au bonheur égoïste pour
toi ? Un peut penser de nouveau au Prol 15 - 17
– la vie, la vraie vie …
Le
Seigneur demande à ses disciples : Que cherchez-vous (Jn
1,38) ? C’est certes, que jamais, nous serons si radicaux, en cherchant
uniquement, mais vraiment uniquement Dieu. Mais quand – même, l’orientation
principale doit être celle là. Et si nous réalisons qu’il y a encore d’autre
chose, nous l’offrons, le présentons à lui pour nous purifier. Il y a aussi un
danger dans cette question : c’est de se concentrer tellement sur nos
personnes, pour ainsi dire de mesurer la température de la recherche … que nous
perdons la grande perspective, l’orientation vers LUI.
Chercher
Dieu, - ce n’est pas d’abord notre effort. Comme nous avons relevé dans la
première conférence, Dieu est à notre recherche, il va derrière nous, et il
nous trouve. C’est d’abord la bonne nouvelle. Et avec beaucoup de candidats, il
faut fortifier cette base d’abord. La
conséquence est : de chercher Dieu, de nous orienter totalement vers lui,
de chercher toujours, de le trouver, et encore plus le chercher et trouver.
Dans la Règle pour moniales de S. Césaire, il dit : chercher le Christ,
comme l’aimée dans le Cantique. Dans le monastère on pourrait dire avec
confiance : invenimus quem quaesivit
anima nostra (1). Rester sur le chemin, et continuer
à chercher.
Et
cela se montre dans le zèle pour l’Opus Dei. Je pense que c’est notre
grande joie et notre vie, même si de temps en temps c’est aussi fatigue. Cela
va de pair avec le sens pour la communauté, parce que tout ce qui se vit en
communauté, sort durant le chant de la liturgie. Qui est trop individualiste,
aura beaucoup de mal à s’intégrer.
Zèle
pour l’obéissance, avec cela une flexibilité qui est signe de la vie,
une ouverture sur les plans plus grands de Dieu. Signe concret si le candidat
peut accepter les corrections des autres.
Et
le zèle pour les « obprobria », ce
qui n’est pas à traduire avec humiliations (nous serions dans la perspectives
du M : ruiner tous les plaisirs.) Surtout pas avec humiliations imposées
exprès. Mais cela veut dire concrètement les services pour la communauté. Ainsi
la dimension horizontale entre déjà ici. Ces services, qui dans l’Antiquité
étaient méprisés, comme servir dans la maison, faire la cuisine, services
domestiques, laver, nettoyer, et aussi travail sur les champs. Mais ce sont
justement les services qui construisent la communauté.
Nous
retournons à notre question : pédagogie de vie et de bonheur. C’est un
chemin, c’est une croissance, qui va à travers des crises, comme c’est normal,
qui a des hauts et des bas, même des moments où on est saisi de terreur et
voudrait fuir, mais le bonheur est dans la persévérance. Dans les moments de
désespoir, on peut se confronter avec soi-même, voir plus clair en soi, voir
aussi tout ce qui n’est pas beau, pour se confier de nouveau à l’amour de Dieu
qui nous appelle, pour une lente maturation.
Et même les difficultés et les souffrances ne peuvent pas obscurcir une
joie profonde. Mais SB n’impose pas expressément de difficultés.
D’autre
côté il ne s’agit pas de peindre une communauté idéale qui n’existe pas. On
conte avec les faiblesses, les péchés, les injustices (pas imposées exprès), On
prêche au candidat les choses dures et âpres par lesquels on va à Dieu (58,8).
SB même conte avec des ennemis et des persécutions. Dans tout cela il exhorte à
confier qu’on va vaincre, et même de se réjouir de cela, puisque le Seigneur
« dilexit nos », Le Christ nous a aimés
jusqu’à la fin. (4. degré).
Le
monastère offre des aides : les frères ou les sœurs qui ont vécu cette vie
monastique, des gens épanouis,
Aussi
les structures comme un horaire, une balance de prière et de travail, comme des
heures garanties pour la lectio, les valeurs de la discrétion, de la mesure, de
la modération, un équilibre qui peut sauvegarder une vie saine. Et la Règle
nous donne les motivations – amour, le Christ. Suivant le Christ on devient
plus humain.
En
différence de la quête du bonheur dans notre société et de tous les courants de
« wellness », de « fitness », de
satisfaire chaque désir, la RB nous montre un chemin de vie : chemin qu’on
va avec les autres (cf 72), chemin où on trouve du
sens à la vie, où il y a des personnes qui ont l’expérience d’un bonheur plus
profond, d’une joie qui perdure même dans les souffrances, où le cœur se dilate
pour accueillir le Christ – mais aussi le monde entier. Chemin où on cherche et
trouve, et cherche encore, où on ne se sent jamais « arrivé ». On se
fie à des personnes, au plus profond on se fie au Christ, on croit en Lui, on
se laisse guider par lui. De plus en plus qu’on progresse, on se voit dépendant
de la grâce. Et on voit de plus en plus comment c’est important de « rendre grâce », de remercier.
Dans
la RB cette exhortation est faite pour des situations difficiles où le
« merci » ne vient pas spontanément : quand j’ai reçu moins, on
rend grâce à Dieu (34,3), quand vient encore un pauvre, ou quelqu’un – peut-être
à la fin d’une journée chargée (66,3)– Deo gratias,
et une 3. situation : quand manque le vin (pour des Italiens certainement
une situation dure et difficile : benedicant
Deum (40,8). Je vois la personne de SB en gratitude pour le don, pour le bonheur,
et même pour le malheur. C’est vraiment une vie heureuse.