RB 72 – une pédagogie de vie et de
bonheur
Sr. Aquinata
Böckmann, OSB
En-Calcat 27
Janvier 2005
Ce chapitre est le sommet de la Règle,
la vision profonde, le testament de SB. Nous sommes en train de chercher de
l’aide pour notre tâche, comment accompagner des candidats à une vraie vie et à
une vie heureuse. Que nous dit ce chapitre ?
D’abord je voudrais demeurer un peu sur
la notion de zèle – et la désillusion, en ce qui concerne le chapitre entier,
puis entrer dans les premiers et derniers verset, comme 3. point prendre le
milieu, et terminer avec le Christocentrisme de ce chapitre et de la Règle.
1.
Zèle et désillusion
On
pourrait peut-être dire, quand quelqu’un est obsédé d’une idée, mieux d’un zèle
il y trouve son épanouissement.
Quand on pense à aujourd’hui :
nous vivons dans un monde marqué par le mauvais zèle, le terrorisme, - et
peut-être aussi l’antiterrorisme.
Nous
connaissons aussi le contraire du zèle.
Tant de gens vivent sans grand idéal, ne songeant qu'à leur
commodité. Cherchent-ils une communauté
? C'est en vue de trouver des relations
agréables, un soutien, un enrichissement, de la joie. Et la force de persévérer, de s'engager de
toute son énergie semble diminuer.
Pour
l’époque de SB on peut déceler beaucoup de zèle mauvais, dans les guerres, les devastations, les cruautés des guerres. Mais il y a aussi
peut-être un contraire du zèle : on pense au luxe, à l'amollissement du
style de vie, à l'instabilité dans un temps de migration, de désordre.
Il
semble que son horizon de compréhension et le nôtre sont, pour ce qui regarde
le "zèle", semblables en bien des points.
Pratiquement pour lui, le zèle est
l’ardent amour. Et on se demande, pourquoi SB est ici si intensif. Pour ainsi
dire il secoue ses moines, qui selon ce qu’on lit dans toute la Règle ne sont
pas des moines zélés. Au contraire, comme dit le chapitre suivant :
« paresseux, de mauvaise conduite et négligents » (73,7).
Si nous expérimentons
cela dans nos monastères, on pourrait dire : dans un temps pareil, il faudrait
des moines zélés, ardents d’amour, vraie fraternités … etc. Vous avez peut-être
noté que le langage est : il faudrait, on devrait… c’est le
conditionnel. Peut-être on se rappelle tant de conversations dans le noviciat.
Si cela n’était pas comme ça … mais il serait absolument nécessaire … etc.
Bonhoeffer dans son livre « vie
communautaire » dit qu’on vit des idéaux, des rèves. D’autres parlent
d’une vie de spiritualité d’en haut. L’idéal est certes important, et – surtout
dans la première phase de la vie spirituelle – il s’agit de le réaliser. On
s’efforce de vivre l’idéal, et souvent on veut forcer les autres aussi à vivre
comme cela. Mais vient la déception, la désillusion. La réalité n’est pas comme
cela. La communauté n’est pas idéale ; les personnes encore moins !
Et ne se laissent pas réformer ! Ce n’est pas une connaissance agréable,
c’est le contraire. Mais la désillusion est importante.
Bonhoeffer
dit même que c’est une grâce de Dieu qui détruit tous les rêves. Seulement
après la désillusion on peut vivre dans la réalité, comme elle est. Et la grâce
de Dieu prend la réalité et non les rêves et les transforme. Le plus tôt vient
cette déception, le mieux. La grande
déception doit nous attrapper – déception de
l’Eglise, de la communauté, - et si nous sommes dans la vérité – aussi la
déception de nous-mêmes.
Vie
de bonheur ? Le bonheur n’est pas dans les idées, dans les « il
faudrait »… Dernièrement j’ai entendu la définition de l’optimiste et du
pessimiste : L’optimiste sait que la situation est mauvaise, le pessimiste
le découvre chaque jour de nouveau. Cela veut dire : l’optimiste vit dans
la réalité, comme elle est ; il n’a pas besoin de l’embellir
artificiellement, de cacher quelque chose, de nier – il peut accepter :
oui, nous manquons de zèle – ou même : oui il y a chez nous du zêle mauvais. Et à partir de cela on peut découvrir bien dees choses positives, on a confiance en Dieu, et dans la
grâce. C’est comme SB : Le frère incorrigible – et on tente tout – mais le
frère inferme ne guérit pas. Alors tous prient afin
que le Seigneur qui peut tout (omnipotens), opère la
guérison. Pourtant il se peut, que encore le frère reste malade et contagie tous. C’est certainement un cas grave. Mais SB est
très réaliste et conte avec tout cela. Pourtant il continue à écrire sa Règle,
même s’il est conscient que nous sommes mal-vivants,
et que c’est vraiment une Règle pour commençants. Il semble quand-même
un optimiste.
2. RB 72,1-2. 11-12
Retournons
à notre chapitre. On devrait vivre le bon zèle, mais on ne le vit pas, SB
insiste, nous secoue, - mais … Ce doit être une vie très malheureuse ?
Est-ce que les efforts sont en vain ? Je pense que non. Voyons la
pédagogie de SB.
Dans
un premier temps je voudrais regarder les versets au commencements et à la fin
(1-2. 11-12).
SB
commence bien avec la réalité triste de son temps, même si ce n’est pas très
logique après ce titre. Il constate le mauvais zèle qui sépare de Dieu – et
conduit en enfer – la conséquence. Donc en opposition, en contraposition, on
devrait vivre en intensité le bon zèle.
Ce bon zèle sépare des vices. Voilà un
progrès dans la RB. Au Prologue, et au Chapitre 7 on
doit d’abord se détourner du mal, se purifier des vices, puis la charité peut
croître. Mais ici il le prend de l’autre côté : Pratiquons le bon zèle, et
c’est ce zèle qui va nous séparer des vices, et nous conduire à Dieu et à la
vie éternelle. Le zèle est un moteur fort, puissant et vigoureux. Une force
intérieure, et le verset 3 montre que c’est l’amour, qui est brûlant.
« Amour »
est certainement une autre parole pour la vie. Zèle, vraie vie déjà ici dans la
vie monastique, et qui nous conduit à la vie perpétuelle ! Comment
pourrait-on la décrire ? (cf 72,7)
D’ici
nous faisons un saut jusqu’aux versets 11-12. On voit que le zèle brûlant a à
faire avec le Christ. Les versets avant ont montré la dimension horizontale,
mais aussi la dimension verticale. Les deux convergent dans le Christ. Le
Christ semble être le noyau du bon zèle (cf
après). Le texte est aussi radical dans
le v. 11 comme dans le v. 3. Intensité de l’amour ! Le v. 12 forme une
inclusion avec le v. 2.
« Le
zèle conduit à Dieu et à la vie éternelle, »
« Celui-ci (qui c’est ?) nous
conduise tous ensemble à la vie éternelle. »
Chaque
mot ici est important. Regardons d’abord les sujets. Au commencement c’est le zèle qui conduit – on pourrait
traduire : notre bonne volonté, notre énergie, notre amour … Mais à la fin
c’est le Christ qui conduit. Entre les deux versets il y a eu un « échange
de moteur ». Notre énergie ne suffit pas – il y a désillusion ! Notre
amour ne suffit pas, il est très défectueux ; nos forces sont engagées,
mais il y a faillite. Grande désillusion, mais salutaire. Les espoirs se
transforment en espérance, même en sûreté : Les faillites ont fait le vide
en nous, nous tendons les mains ouvertes. Le Christ peut prendre demeure en
nous, et il nous conduit à partir du dedans.
C’est
la même loi que nous avons vu à la fin du Prologue : le cœur dilaté c’est
la conséquence non de nos efforts, mais de l’action de Dieu qui prend sa
demeure en nous. Ou du Prol 30 : « ils
magnifient le Seigneur qui opère en eux » (operantem
in se Dominum magnificant).
Précisons
pour notre thème : pédagogie de vie et de bonheur ! D’abord c’est un
certain bonheur à agir, à exercer ses forces. Peu à peu Dieu nous conduit à
travers les crises et déceptions à la réalisation, que – au fond – c’est lui
qui agit, et pour nous, c’est de le laisser agir, de recevoir son action. Un
bonheur plus profond !
En
passant notons encore les autres différences entre les versets 2 et 12 :
qu’il nous conduise. Avec le
« nous » SB s’inclut avec ses moines décadents. Et lui aussi est en
chemin, au milieu de sa communauté. Pas encore arrivé ! Et puis le verbe
devient un subjonctif : « qu’il
conduise « . Notons aussi que le verbe en latin est plus fort qu’avant
(ducit – perducat). C’est
une sorte de prière (implicite).
A la vie éternelle. Pourquoi pas à Dieu et à la vie éternelle ? Parce
que, si nous sommes avec le Christ, nous sommes déjà avec Dieu. Quelqu’un a
nommé ce verset une Christologie « in nuce ».
Le Christ, vrai Dieu. N’ayons pas peur d’être trop christologiques. Son désir
est de nous conduire au cœur du Père.
Et
le mot important : tous ensemble.
Nous ne pouvons pas arriver seuls, mais en communauté, en frères, en sœurs.
Cela vaut à partir de la profession où on est devenu frère à l’autel. Donc la
dimension horizontale est maintenant inclue dans la dimension verticale :
vers la vie éternelle, tous ensemble. « Omnes in
Deum ». (modèle d’action : champ de pommes de terre).
Pour
résumer : la vrai vie, le bonheur a à faire avec cela – après la première
phase ou le candidat est plutôt actif, après les déceptions, on ne doit pas
désespérer, au contraire les manques nous font espérer plus profondément :
C’est la grâce qui va le faire, le Christ en personne qui habite en moi.
Et
autre bonheur : nous sommes ensemble sur le chemin, responsables les uns
des autres.
3. RB 72,3-10(11)
Nous
regardons le milieu du chapitre, toujours dans notre recherche : pédagogie
de vie et de bonheur. Il y a un danger dans la question : qui veut la vie
et le bonheur ? – Je pourrais viser cela comme but de ma vie. Je veux être
heureux. Et cela me séduirait à tourner autour de moi, à faire de moi et de mon
bonheur le centre de ma vie. Selon notre expérience on pourrait déjà dire
spontanément : qui vise son propre bonheur en tout, ne le trouvera
certainement pas. Est-ce que le chapitre 72 nous aide en dans ce probème ? C’est un problème réel dans l’accompagnement
spirituel des candidats à la vie monastique.
Un
premier pas : l’analyse structurale.
Regardons
le milieu.
Dans
chaque verset il y a le vocabulaire de l’amour, ou d’une concrétisation ou
d’une conséquence de l’amour : patience, respect, obéissance. Mais non le
v. 7.
Tous les
versets sont dans le pluriel. Mais non le v. 7.
Tous
les versets en latin ont le verbe à la fin, mais non le v. 7.
Tous
les versets ont une expression adverbiale, mais non le v. 7.
Tous
les versets 3-10 sont intensifs et positifs, mais non le v. 7.
Tous
les versets ont une expression de la réciprocité ou de l’amour (de la charité),
mais non le v. 7.
On peut
aussi dire que tous les versets renferment un mot clé comme zèle, honneur,
patience, obéissance, charité fraternelle, Dieu, abbé, Christ, mais non le v.
7.
Tous
les versets sont préparés avec des expressions semblables dans le cours de la RB. Et en RB 72 nous voyons une gradation. Mais cela ne
vaut pas pour le v.7.
Si les
versets 3-10(11) sont comme une poésie, le v.7 saute hors du schéma. D’ailleurs
on peut très bien lire les versets 3-11 sans le v. 7. Il est superflu (on
pourrait même dire : il est le double du 72,8).
Autre
observation : les versets 6 et 8 entourent avec la même expression (latin
: inpendere), le verset 7 comme une pierre précieuse.
Nous
arrivons ainsi au verset 7, qui
interrompt le déroulement et l'harmonie du chapitre. Comment se fait-il que le
verset 7 se trouve ici ? Je pourrais
m'expliquer son insertion tardive au milieu du chapitre de la façon suivante :
Les moines peuvent avoir dit au Père Abbé Benoît: "Tout ce que tu écris
ici est bon et important ! C’est très
haut, très spirituel. Mais peux-tu nous dire ce qu'il en est concrètement de
cette très ardente charité ? Comment
devons-nous dans telle ou telle situation pratiquer le bon zèle ?" Et à partir de son expérience, SBenoît aurait finalement placé cet instrument au milieu de
son testament: « nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais
bien plutôt ce qui l'est pour autrui".
Si chacun agit ainsi, il n'y aura pas à s'inquiéter beaucoup pour savoir
si l'on pratique le bon zèle. Mais il s'agit de "ce qui est utile pour
autrui", c.à.d. ce qui l'aide sur la route qui
mène à Dieu, ce qui le fait grandir comme homme et comme chrétien. Ce n'est pas ce qui lui est agréable.
Pour
chacun, c'est l'indication d'une voie qui éloigne du "je" et place
l'autre au centre. C'est un dépassement,
une transcendance de soi. Je n'ai bien compris la radicalité de cette
phrase que par la réaction d'un novice auquel j'essayais d'expliquer ce
verset. Il devint blême et, comme je lui
demandais s'il ne se sentait pas bien, il répondit : "Alors, il ne reste
plus rien pour moi". J’étais
d’abord ébahie. Oui, c'est radical !
Rien pour moi, mais tout est donné.
Pour reprendre les paroles de Jésus, c'est perdre sa vie afin de la
retrouver (Mc 8, 35 ss),
c'est mourir avec lui comme le grain de blé (Jn 12,
24).
En
pratiquant le bien, je pourrais encore me mettre au centre et faire montre de
moi en étant charitable (exemple : les bus à Rome). Ici, on ne veut plus prendre la température
de son bon zèle, mais on s'oublie soi-même en portant tous ses efforts sur ce
qui est le bien de l'autre. Récemment j’ai lu une phrase de Georges
Bernanos : « Trouver sa joie dans la joie de l’autre, c’est le secret
du bonheur ». Aimer l’autre, contribuer à son bonheur et à sa joie – le
chemin plus sûr.
Je
dirais que ce verset est le testament pratique de SBenoît. Il exhorte chacun des moines à juger, peser
dans la lumière de Dieu ce qui est salutaire à autrui. Le verset énonce un
critère pour les autres instruments, par exemple le respect mutuel, la patience
et l'obéissance les uns envers les autres, comme cela peut servir le bien de
l'autre. C'est aussi un critère des
vertus monastiques, comme par exemple, le silence, l'ascèse et la discipline à
l'intérieur d'une communauté.
Voyons
encore comme ce verset est en relation
avec le commencement et la fin du chapitre: Seulement au commencement et à la fin on a des
expressions négatives et positives comme au v. 7.
Le
verset 7 se rapporte au début : le mauvais zèle (verset 1) serait alors
concrètement de toujours chercher ce qui m'est utile au plan matériel ou
spirituel. Faire de moi-même le centre, même en pratiquant le bien. Et le bon
zèle (v. 2) consisterait en une orientation aimante vers le bien de l'autre.
- En me
référant au verset 11, je puis me demander ce que je préfère au Christ ;
n'est-ce pas souvent ce qui m'est utile ?
Alors le verset 7 décrit une manière concrète de s'orienter vers le
Christ. Les deux versets sont semblables
dans leur radicalité. Le lien entre les
versets 7 et 12 dit en clair qu'il ne peut s'agir de faire d'un membre de la
communauté (alius) tellement le centre de ma pensée
et de mon agir, de l'aider de telle sorte qu'il/elle s'isole de la communauté
ou la gêne dans sa marche vers le but qu'elle poursuit. Il s'agit de porter
l'autre selon les circonstances afin que tous arrivent ensemble. En mettant en regard les versets 7 et 11-12,
on voit clairement qu' "utile" est ce qui fait grandir le Christ dans
les autres et ce qui les fait grandir en amour du Christ, de sorte que tous
ensemble nous nous laissions conduire par lui (cf. sens de la profession). Mais
le changement de sujet au verset 12 montre clairement qu'il s'agit pour chacun
de laisser en soi un espace à l'agir du Christ pour qu'IL
grandisse en nous. Pratiquement, c'est
le Christ qui en moi recherche ce qui est utile à autrui, qui me conduit de
l'intérieur et m'ouvre sans cesse à l'autre.
Mon propre bon zèle ne peut pratiquer cette radicalité.
Voyons
un peu les sources de ce verset, et
avec cela sa spiritualité – sa pédagogie de bonheur : Phil 2, 4 exhorte chacun à ne pas rechercher ses
propres intérêts, mais à songer à ceux des autres. (Et après suit que le Christ est l’exemple de
cette attitude : il s’est anéanti pour nous). 1 Cor 10, 24 exhorte à ne
pas penser à soi mais aux autres.
Ensuite Paul se donne lui-même en exemple : "je ne recherche pas
mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre. » En 1 Cor 13, 5 il dit, que la charité
"ne cherche pas son intérêt".
D'après Cassien, qui s'appuie sur ce texte, pareille attitude est une
concrétisation de la charité apostolique (Coll XVII,
19, 7; cf Basile, Reg. 3, 5 ; 12, 11 ; 82, 4). L'Admonitio 4
(Pseudo-Basile) exhorte ainsi : 'Ne fais pas ce qui
t'est utile, mais ce qui
l'est à autrui". Le bon zèle, au sens où
l'entend Basile, est orienté vers l'édification
d'autrui. Selon la Bible et les Pères, il est clair que c'est là le
chemin suivi par le Christ qui s'anéantit lui-même et vit et meurt pour nous (cf Phil 2, 6-11).
Le v.
72, 7 n'a pas de précédent dans la RB,
du moins si on le considère dans sa totalité du point de vue linguistique ;
cependant une comparaison des mots à l'intérieur de la Règle montre que le jugement (iudicare)
est en général soumis à l'abbé et suppose que les différentes parties ont pesé
et examiné la situation (cf 3, 2.5 ; 65, 14), Dans ce
verset, Benoît fait aussi confiance aux moines, avec une marge de jeu ; il les
laisse estimer, juger ce qui est réellement utile à autrui. Dans la Règle le verbe « suivre » (sequi),
lorsqu'il s'agit de personnes, est utilisé dans le sens d'obéir et de se mettre
à la suite (par ex. Prol 17 ; 3, 7 s ; 5, 8),
spécialement en 4, 10 "suivre le Christ" (ut sequatur
Christum - même forme verbale qu'en 72, 7). Donc ici:
suivre le bien d’autrui comme mode concret de suivre le Christ ! Le mot
"utile" (utile/utilitas) caractérise le bien commun et la fécondité
spirituelle d'un chacun (cf 7, 18 ; 3, 2 ; 42, 4 ;
65, 12). Donc chemin de croissance dans le Christ pour l’autre !
L’emploi
des mots dans la Règle indique que nous touchons un point important pour SB. Les sources font apparaître plus nettement que c'est
une façon d'entrer dans le chemin du Christ.
C'est le bon zèle, la charité dans tout son dynamisme !
Retournons à notre thème :
pédagogie de vie et de bonheur ! A la fin de sa vie, où SB semble courir
avec un cœur dilaté, avec une douceur indicible de l’amour, il semble
dire : « il faut perdre la vie pour la trouver ». Et qui est la vie ? Evidemment selon ce
chapitre et selon le Prologue, c’est le Christ en personne. Donc il s’agit d’un
amour éperdu de lui, et comme nous avons vu, cela comporte en même temps
d’aimer les autres, de se dépasser, se transcender pour faire l’utile de
l’autre.
4.
Christocentrisme – secret du bonheur
Comme cela il paraît juste de conclure nos conférences avec
l’importance du Christ, notre vie et notre bonheur, selon la RB. On pourrait
donner le titre : christocentrisme – secret du bonheur. Et on se rappelle la lettre aux
Philippiens 3, 8-12 : « je tiens tout … comme déchet au prix du
gain suréminent qu’est le Christ Jésus, mon Seigneur. Pour lui j’ai accepté de
tout perdre… afin de gagner le Christ… le connaître, lui, avec la puissance de
sa résurrection et la communion à ses souffrances … ayant été moi-même saisi
par le Christ. » Et maintenant, il court. Je pense ces phrases valent pour
la RB. SB est fou avec le Christ, il est saisi de la passion pour le Christ (et
pour l’humanité – selon le thème des supérieurs majeurs pour leur Congrès à
Rome, en 2004). Déjà au commencement du Prologue cela apparaît dans les
versets, que SB a mis avant le texte copié du M : « tu veux servir le
Seigneur Christ, le roi véritable » (Prol 3). Comme nous avons vu, la
question « qui veut la vie et les jours heureux » - est proférée par
le Christ, et la vie au fond, c’est lui. Le noyau du Prologue (21) avait dit
que nous allons ses chemins (cf 4,10). La Règle ne veut pas nous donner une christologie,
mais décrit la relation du moine avec le Christ, et surtout dans les termes de l’amour, un amour qui devient plus
fervent. Comparons 4,21 : « ne rien préférer à l’amour du
Christ », avec 72,11 « ils ne préfèreront absolument rien au
Christ ». On pourrait dire, entre ces deux versets se passe toute la vie
monastique. Un enthousiasme au commencement, et l’approfondissement et la
radicalisation à la fin. Entre les deux peut-être des temps de crises et de
difficultés, qui peuvent se prolonger, mais durant ces nuits, l’amour au Christ
s’approfondit, croît. Et le dernier instrument : « ne rien absolument
préférer au Christ » peut être le signe d’une douceur d’amour qui va
ensemble avec la participation aux souffrances du Christ.
Tout dans la vie monastique a une
relation au Christ : l’obéissance est
de ceux qui n’ont rien de plus cher che le Christ (5,2). Et comme cela
l’obéissance peut être joyeuse (5,16) et plaît à Dieu et est douce aux hommes
(5,14). Au troisième degré de l’humilité, où il est question d’obéir à un
supérieur (et non plus comme au deuxième à Dieu), SB a ajouté au texte du M,
qu’il avait copié : « par amour à Dieu » (amore Dei - 7,34). Par
cela il a détruit la marche logique du chapitre 7 qui conduit de la crainte à
l’amour (comme le M le montre ancore). Rappelons-nous aussi le chapitre des
obéissances difficiles : Le dernier mot est : qu’il obéisse « ex
caritate » (68,5). ´La ligne principale pour SB serait : d’obéir au
Christ, d’écouter le Christ, et de faire ce qu’on a déchifré ce que le Christ
voulait. Donc le Christ comme notre vis-à-vis. Mais il y a aussi l’autre ligne
qui est exprimé dans le 3. degré d’humilité avec le texte de Phil 2,8: «
Il est devenu obéissant jusqu’à la mort ». Et le moine, même s’il ne voit
pas clair comment est le message du Christ, peut se fier pourtant à lui et
obéir par amour comme le Christ a obéi (par exemple à Ponce Pilate). J’appellerai cela les nuits de l’obéissance,
qui peuvent arriver, peut-être pas tout de suite au commencements.
L’Abbé est le
représentant du Christ (2,2). Et il est exhorté à se comporter ainsi. Il doit
se soucier des malades, puisque le Christ est venu pour eux (27,1), et imiter
le Bon Pasteur (27,8-9) et laisser imprégner toutes ses actions par lui. L’abbé
est aussi comme le Serviteur de Jahvé qui n’écrase pas le roseau brísé
(64,13). Une connotation nouvelle dans
la relation abbé-moines : l’abbé aime ses frères (64,11) et lui, de son
tour, est aimé des frèrs : il s’efforcera d’être plus aimé que
redouté » (64,15). C’est un contraste avec la RM, où l’abbé est seulement
craint, pas aimé. Et les moines peuvent l’aimer par amour du Christ, comme dit
le ch. 63,13 (honore et amore Christi).Voyons notre ch. 72, v.
10 : »ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et
humble ».
En lutte avec les tentations, le moine peut briser chaque mal contre le Christ (Prol
28). SB dit aussi comment cela se fait : en les ouvrant au Père spirituel
(4,50). Donc le Christ est comme rocher.
Il est aussi le rocher sur lequel nous
pouvons construire notre « maison », la vie monastique (Prol
35).
Par la patience on participe aux souffrances du Christ (Prol 50). Et dans
des situations difficiles comme cela apparaît au 4. degré d’humilité, les
moines peuvent dire avec joie : « nous vainquerons à cause de
celui qui nous a aimés » (7,39).
L’amour est à la fin de la Règle comme
nous avons vu dans le chapitre 72, mais on le perçoit aussi à la fin du
chapitre 7 : on fait tout
« par amour du Christ » et « par plaisir aux vertus » ;
la crainte n’y est plus. Il me semble que c’est l’amour qui donne le plaisir
(delectatio) aux vertus. Une vie heureuse !
C’est aussi l’amour au Christ qui lie
la communauté, ou la lie de nouveau
dans la réconciliation : 4,72 : « Dans l’amour du Christ prier
pour ses ennemis » Dans la communauté, SB le présuppose, il y a des
ennemis. Et la réconciliation commence avec la prière pour eux. Commençant à
mettre en pratique, on perçoit, comment c’est difficile. Mais justement, notre
incapacité nous ouvre les mains vides : Je ne le peux pas. C’est toi-même
qui dois prier en moi. Dans l’amour du Christ pourrait dire : amour pour
le Christ. Mais ici, je dirais plutôt : l’amour que le Christ a pour nous
(et les ennemis), ou l’amour qu’est le Christ.
Le noyau du chapitre 2 (de l’abbé)
est : « Dans le Christ nous sommes tous un » - esclaves ou
libres (2,20). Et on pourrait dire : seulement dans le Christ. Quand on
s’imagine les personnes si différentes dans cette communauté de SB, on se
demande comment ils ont pu vivre ensemble. SB dit : dans le Christ c’est
possible. C’est Lui qui crée et recrée toujours de nouveau la communauté (cf
l’image de Dorothée de Gaza).
La lectio
divina nous fait toujours plus connaître le Christ, et la participation
amoureuse à l’Opus Dei, n’est pas
seulement une concrétisation de la recherche de Dieu, mais aussi de l’amour
pour le Christ. « Ne rien préférer au Christ », « ne rien
préférer à l’œuvre de Dieu
(43,3)« . Passion pour le Christ, passion pour l’humanité ! Plus nous célébrons avec amour, plus nos
cœurs seront élargis pour embrasser le monde entier dans ses joies et
angoisses.
Dans la deuxième partie de la Règle
nous découvrons le Christ dans le frère
malade, indépendemment si lui est agréable ou non. « Ce que vous avez
fait au plus petits, vous l’avez fait à moi » (RB 36,1-3). SB est très
fort dans ce chapitre 36 sur la dimension christologique. Et il semble donner
une réponse à un problème pratique des frères et de nous : Comment c’est
le Christ, et il est si méchant ? Si c’est le Christ, le malade devrait se
comporter comme le Christ. Mais non. SB croit que, fondamentalement c’est le
Christ. Peut-être le Christ est enfermé, pour ainsi dire en prison. Alors notre
relation d’amour peut aider le Christ à se libérer. SB ne chancelle pas dans sa
foi.
Et la même chose pour les hôtes, les réfugiés et les frères dans
la foi, surtout dans les pauvres et les étrangers le Christ est encore plus
reçu (53,1.6.15). Et on chante dans le contexte de cette ouverture au monde
nécessiteux : « Nous avons reçu, o Dieu, ta miséricorde ».
Vision de foi ! Ce n’est pas nous, qui généreusement avons pratiqué les
œuvres de miséricorde (cf 4,14-19) mais c’est le Christ, comme miséricorde
incarnée du Père, qui nous a fait la grâce de venir, et d’être servi par nous.
Toute la vie monastique est baigné dans cette atmosphère christologique. Et de
nouveau il n’est pas question d’accueillir seulement les pauvres vertueux qui
radient le Christ – non : tous. Le vis-à-vis des moines c’est le Christ,
peut-être très « sous-developpé », mais présent. Et les moines qui
veulent suivre le Christ, essayent aussi de conduire l’hôte à la prière et
lisent la loi divine pour son édification (de la foi). Donc pour ainsi dire,
ils prêchent aussi le Christ. Le Christ est des deux parties, comme cela
devient clair pour le lavement des pieds, qui est devenu le modèle de
l’hospitalité : On lave les pieds à tous – puisque en tous : c’est le
Christ. On lave les pieds au Christ, qui n’a pas honte de nous tendre ses
pieds. Et on imite le Christ, comme il a lavé les pieds de ses disciples. Tout
à fait baigné dans l’atmosphère christologique.
Qui veut la vie ? – Qui veut le
Christ ? En LUI nous trouvons tout notre bonheur et la vraie vie. En nous
nous trouvons aussi les frères malheureux, les pauvres – dedans ou
dehors ! Pour SB toujours dimension verticale et horizontale vont de pair,
se retouchent, , et surtout dans le Christ. Nous sommes dans son école, et
expérimentons sa pédagogie : Il ne saute pas tout de suite au surnaturel –
tu veux le bonheur. Bien. Tu veux plus : la vraie vie ? – c’est moi –
et ainsi tu veux aussi la vie pour les autres (il le dira dans son langage
sobre : l’utile pour l’autre). Tu veux – tu t’efforces – et tu échoues –
cela ne fait rien – tu essaies de nouveau – faillite – tu vois, que tu n’es pas
capable de le faire avec tes forces, mais le Seigneur prendra sa demeure en
toi, - Lui le fera – il opère en nous, il dilate le cœur, il nous conduira tous
ensemble. Ecoute – et tu parviendras, c’est le dernier mot de la Règle.