Réflexions
sur le rôle de l’Abbé Général dans l’OCSO
(Document de travail écrit pour
la Conférence Régionale CNE, 2006)
Dom Bernardo OLIVERA ayant
annoncé, au cours de la RGM de 2005 qu’il présentera sa démission lors des
prochains Chapitres Généraux, on peut s’attendre à ce qu’il y ait en 2008
l’élection d’un nouvel Abbé Général, si la démission de Dom Bernardo est acceptée.
Il n’est certes pas inutile, en préparation à cette élection, de réfléchir
sur ce que nous attendons de l’Abbé Général dans le contexte actuel de l’Ordre,
de l’Église et de la Société en général.
Rapide aperçu historique
A) Du 12ème au 17ème siècle
Pour la première
fois dans l’histoire du monachisme les fondateurs de Cîteaux ont trouvé la
façon de constituer un « Ordre » tout en préservant l’autonomie
juridique de chaque communauté. Les
monastères cisterciens sont unis entre eux par des liens de charité ainsi
que par un esprit commun et des observances communes; mais chaque communauté
conserve sa pleine autonomie sous l’autorité de l’abbé qu’elle a elle-même
élu. Il n’y a aucune autorité « personnelle »
au-dessus de la communauté locale, mais bien l’autorité d’une institution,
le Chapitre Général, composé des abbés de toutes les communautés, assumant
une responsabilité pastorale collégiale sur l’ensemble de l’Ordre[1].
Dans un article publié
en 1968[2], le père Jean-Baptiste Van Damme étudie l’évolution
de ces pouvoirs au cours des premières étapes d’évolution du droit de l’Ordre.
Il conclut qu’au cours de ces deux premiers siècles :
« L’abbé de Cîteaux a toujours
été considéré comme un primus inter pares, exerçant certaines fonctions administratives
bien déterminées, décernées à sa personne par égard pour sa dignité de successeur
des fondateurs de la maison et de l’ordre de Cîteaux.
Son titre le plus élevé, qu’il obtint de plein droit vers l’année 1205,
est celui de président du chapitre général et de chef du définitoire, mais
les facultés qui s’y rapportent étaient définies par des règlements détaillés.
La note essentielle qui aurait fait
de lui un « abbé général », à savoir un pouvoir de juridiction,
si ténu fût-il, sur l’ordre entier, lui manquait complètement. » (p.
85).
Au fur et à mesure
que l’Ordre se répand à travers toute l’Europe, et surtout lorsque les Chapitres
Généraux commencent à s’espacer, particulièrement en temps de guerre, le Chapitre
Général confie – ou reconnaît – à l’Abbé de Cîteaux le soin d’agir dans des
situations urgentes au nom du Chapitre Général, donc en tant que vicaire
de celui-ci.
B) Du 17ème siècle jusqu’à 1892
C’est à l’époque des Congrégations
et des Observances que le nom d’Abbé Général, attribué à l’Abbé de Cîteaux,
commence à apparaître. Le titre aurait
été utilisé pour la première fois en 1448 par Eugène IV s’adressant Jean Picart,
abbé de Cîteaux. À partir de 1609 les
abbés de Cîteaux se donnent eux-mêmes ce titre dans leur convocation du Chapitre
Général[3].
À partir du début du 17ème siècle
on assiste à la division de l'Ordre en Observances. La Révolution, les guerres
et d'autres circonstances politiques ayant longtemps rendu impossible la tenue
de Chapitres Généraux, la situation juridique elle-même n'était pas des plus
claires, en particulier en ce qui concernait l'Abbé Général. Pie VII avait conféré à l'Abbé Président de
la Congrégation de Saint Bernard les droits et les privilèges de l'Abbé Général
de l'Ordre de Cîteaux -- droits plus honorifiques que réels et qui, en dehors
de l'Italie, se réduisaient à confirmer les élections.
En 1869 les monastères
de la Commune Observance se réunissent en Chapitre Général (où ceux de la
Stricte Observance ne sont pas convoqués). Ils se réunissent de nouveau en 1880 et 1891
pour élire un Abbé Général (sans la participation de la Stricte Observance. Lors du Chapitre d’Union des Congrégations issues
de La Trappe en 1892, le Saint Siège demandera aux abbés assemblés s’ils désirent
être sous l’autorité de cet « Abbé Général de la Commune Observance »
ou se constituer en Ordre autonome et élire leur propre Abbé Général. Ils
choisirent cette deuxième option et, depuis lors, la famille cistercienne
est composée de deux branches principales sans oublier les rameaux qui n’appartiennent
juridiquement à aucune de ces deux branches et dont certains sont réunis en
« Ordres » (comme Esquermes) ou en « Congrégations » (comme
Las Huelgas).
C) Depuis 1892
Le Chapitre de 1892 élit
son premier Abbé Général en la personne de Dom Sébastien Wyart. Après la refondation de Cîteaux en 1898, l’Abbé
Général devint l’abbé de Cîteaux. Voici
ce qu’on lit dans les Actes du Chapitre Général de 1899 : « Avec
l’autorisation du Saint-Siège, la nouvelle communauté de Cîteaux a élu, pour
son abbé, le Général de l’Ordre. Le
Souverain Pontife non seulement a approuvé et confirmé cette élection mais
encore par un Rescrit du 4 Juillet 1899 a statué qu’à l’avenir l’abbaye de
Cîteaux sera la Maison-Mère de notre Ordre : « honore et auctoritate
princeps » et que l’abbé Général sera toujours Abbé de Cîteaux » (page 4).
Le Chapitre Général de
1962 sépara les deux fonctions, tout en demandant au Saint-Siège de reconnaître
à l’Abbé Général le titre d’archi-abbé de Cîteaux. Ce titre est disparu avec
nos nouvelles Constitutions, l’Abbé Général agissant désormais à l’égard de
cette communauté « ad instar Patris Immediati).
La charge de l’Abbé Général
Le chapitre 3 de la 3ème
partie de nos Constitutions a comme titre : « La charge de l’Abbé
Général » (De Abbatis Generalis munere). Voici comment la Constitution
82 définit cette charge :
C. 82
L'Abbé Général
1
L'Abbé Général, en tant que lien d'unité de l'Ordre,
stimule les relations entre les communautés tant de moines que de moniales.
Il veille au maintien et au développement du patrimoine de l'Ordre. Avant
tout il se montre pasteur et s'efforce de susciter un renouveau spirituel
dans les communautés. Il visite les monastères selon la fréquence qu'il juge
convenable pour une bonne connaissance de l'Ordre entier : ainsi peut-il aider
fructueusement chaque supérieur et chaque communauté.
2
L'Abbé Général convoque et préside les Chapitres
Généraux. Aidé de son conseil, il agit au nom de chacun des Chapitres Généraux
dans les affaires qui lui sont confiées par ces Chapitres ou par le droit,
et dans celles qui ne peuvent être différées. Il confirme les élections des
abbés et des abbesses et reçoit la démission des abbesses. Il a aussi pouvoir
de dispenser du droit propre de l'Ordre. Il ne jouit toutefois pas du pouvoir
législatif. Il ne peut décider au sujet des biens et des personnes des communautés,
mais peut seulement prendre quelques mesures temporaires là où la nécessité
le demande.
3
L'Abbé Général est considéré juridiquement comme
un Modérateur suprême d'un institut clérical de droit pontifical selon les
normes des constitutions.
Dans cette Constitution,
telle qu’elle a été votée en 1987 et approuvée par le Saint Siège en 1990
apparaît bien la distinction entre l’aspect pastoral et l’aspect canonique,
les deux étant évidemment complémentaires l’un de l’autre.
Le premier paragraphe
décrit l’essentiel du rôle de l’Abbé Général qui est avant tout de travailler
au maintien et au développement de la communion entre les communautés de l’Ordre,
aussi bien celles de moniales que celles de moines. Il a aussi pour tâche de veiller à la fois au
maintien de la tradition et à la réponse créatrice de l’Ordre aux défis des
situations nouvelles dans l’Église et dans la société.
Le deuxième paragraphe
définit les « tâches » qui lui sont confiées par le droit à travers
les Constitutions. Si l’influence morale de l’Abbé Général sur l’Ordre peut
être très grande, ses pouvoirs « juridiques » sont fort limités.
Il n’est pas un « supérieur général » au sens où le sont les supérieurs
généraux des Instituts religieux centralisés.
Le Chapitre Général étant
l’autorité suprême de l’Ordre, l’Abbé Général est lui-même soumis aux décisions
du Chapitre, dont il est le Président, primus inter pares, (ce qui
relève de la nature d’un collège). à
l’égard des communautés et des membres de l’Ordre il n’a pas une juridiction
lui permettant de prendre de plein droit des décisions. Il peut simplement prendre à leur égard
« quelques mesures temporaires (ce qui exclue des mesures irréversibles)
là où la nécessité le demande ».
C’est ce qui est exprimé
avec beaucoup de subtilité dans le troisième paragraphe de cette Constitution.
Même si nous ne nous considérons pas comme « institut clérical »
et n’avons utilisé cette expression nulle part ailleurs dans nos Constitutions,
cette petite phrase toute « romaine », sans affirmer que l’Abbé
Général est le « Modérateur suprême d’un institut clérical », affirme
que c’est « tout comme » : iure intellegitur, c’est-à-dire
« on le considère comme ». Sans cette petite phrase, notre Abbé
Général, aux termes du droit (cf. canon 134 §1) ne serait pas « Ordinaire »
et devrait dépendre d’un autre « Ordinaire »... Mais le reste de
la phrase : « ad normam Constitutionum » est important.
Ce petit membre de phrase veut dire que l’Abbé Général n’a pas tous les pouvoirs
que le droit universel donne ou peut donner au Modérateur suprême d’un institut
clérical, mais simplement ceux qui sont explicitement mentionnés dans nos
Constitutions.
Il faut noter depuis les
années 1960, une tendance du Saint Siège à traiter notre Abbé Général comme
s’il était un supérieur d’institut centralisé.
Il est évidemment plus facile pour le Saint Siège d’avoir à faire à
une personne qu’à un Chapitre Général[4].
Tous nos Abbés Généraux
ont été conscients de l’étendue et des limites de leur autorité canonique. Par ailleurs cela est souvent moins clair pour
d’autres membres de l’Ordre qui lui écrivent pour lui demander toutes sortes
de « permissions » qu’il ne donne évidemment pas, les renvoyant
à leur propre supérieur. De même, il
n’est pas rare qu’au cours d’un Chapitre Général on entende des Capitulants
ou Capitulantes exprimer l’opinion que telle décision relevant de l’autorité
du Chapitre Général devrait être prise par l’Abbé Général ou par « L’Abbé
Général et son Conseil ».
On peut aussi se demander
si la fragilité (la « précarité » selon l’expression devenue « incontournable »
dans le jargon actuel) de plusieurs communautés, et le flou régnant autour
du pouvoir des Pères Immédiats – surtout à l’époque où il y avait de nombreux
supérieurs ad nutum et que ceux-ci ne pouvaient pas exercer leur rôle
de Père Immédiat – n’ont pas amené beaucoup de supérieur(e)s à faire constamment
appel à l’Abbé Général pour régler des situations locales complexes que, normalement
l’abbé lui-même (ou l’abbesse) ou le Père Immédiat aurait dû avoir la compétence
et le courage de régler.
Ce qu’on doit attendre aujourd’hui de l’Abbé Général
Chacun des neuf Abbés
Généraux que notre Ordre a connus depuis 1892 a été une personnalité riche
et marquante qui a profondément influencé la vie de l’Ordre et il faut s’en
réjouir. Chacun a évidemment compris
et exercé sa tâche conformément à sa propre personnalité et sa propre grâce,
sans oublier les contextes historiques différents.
Au Chapitre Général de
1951, après la démission de Dom Dominique Nogues, Dom Gabriel Sortais, en
tant qu’Abbé Vicaire, fit une assez longue allocution expliquant ce qu’on
attendait de l’Abbé Général. C’était
une sorte de « programme » qu’il mit d’ailleurs en pratique au cours
de son généralat de douze ans. (Voir Compte-rendu des Séances, 1951, pp. 36-39).
Il se voyait comme le grand frère des autres abbés les aidant à ne pas se
fourvoyer dans des circonstances difficiles.
Il se voyait aussi comme le gardien de la Règle et de son esprit « soit
au Chapitre Général, soit pendant le reste de l’année, dans son poste de vigie
de Rome ou lors de ses visites dans les monastères ». Il se réjouissait des « pouvoirs »
très limités de l’Abbé Général voyant son autorité dans l’ordre de la confiance,
de l’affection et de la persuasion. Pour
lui l’Abbé Général a une autorité très réelle, parfois considérable, « puisqu’elle
lui est conférée par la confiance d’Abbés qui se plaisent à se dire ses fils ».
(On se souviendra que presque tous les entretiens de Dom Gabriel commençaient
par les mots « Chers fils »).
Au Chapitre Général de
1964, après la mort de Dom Gabriel Sortais, Dom Ignace Gillet, Abbé Vicaire,
décrivit les défis qui se présenteraient au nouvel Abbé Général (Compte-rendu
des séances, 1964, pp. 16-20). On était alors en plein Concile, entre
la première et la deuxième session. Le
premier défi de l’Abbé Général serait donc « de guider l’Ordre dans ses
efforts d’adaptation », sauvegardant les vetera sans pour autant
oublier les nova auxquelles il faudrait s’ouvrir avec prudence. Résidant
à Rome l’Abbé Général – au surplus membre du Concile – « se trouve plus
aisément et plus naturellement que tout autre à l’écoute de l’Eglise. Il est donc tout désigné pour faire connaître
à l’Ordre ces ‘nova’ que l’Eglise attend de nous, pour orienter nos travaux
et en être, selon l’expression nouvelle, le ‘modérateur’. » Un autre défi de l’Abbé Général était alors,
pour Dom Ignace, de maintenir l’unité de l’Ordre dans une période d’expansion.
En 1974 la situation fut
assez différente. Était au programme
du Chapitre Général à la fois le vote sur l’approbation de la démission de
l’Abbé Général et l’étude du « Statut de l’Abbé Général ». Le vote d’acceptation de la démission de Dom
Ignace eut lieu à la neuvième séance, et les rapports de l’étude de toutes
les commissions sur le statut de l’Abbé Général furent donnés à la treizième
séance. Entretemps Dom Ignace continua
de donner les huit conférences qu’il avait préparées. Les comptes rendus des commission sur le statut
de l’abbé général et les échanges en plénière conduisirent à la composition
d’un texte intitulé « Rôle de l’Abbé Général », qui servit aux Capitulants
dans leur choix du nouvel Abbé Général.
Dom Ambroise, qui était alors l’Abbé Vicaire, ne fit aucun discours avant
le vote.
(Ce texte se trouve en annexe au Compte-rendu des séances du Chapitre
Généal de 1974 pages [68]-[70]). Le voici en entier (sauf l’introduction historique) :
L'Abbé Général continue l'œuvre
du Chapitre Général en faisant communier l'Ordre entier à son esprit de collaboration
fraternelle, et en veillant à l'application de ses décisions.
Centre d'unité, il fait le
lien, en sa personne, entre les communautés, les différentes régions, et avec
les moniales de notre Ordre.
Gardien averti de la tradition
vivante de Cîteaux, il aura le souci de maintenir la forme de vie instaurée
par nos fondateurs ; attentif aussi aux nouvelles expressions que la vie cistercienne
peut prendre dans tel ou tel monastère ou dans diverses parties du monde,
il y discerne ce qui est de nature à promouvoir le progrès monastique et spirituel
de l'Ordre dans son ensemble. Dans le même esprit de discrétion, il signalera
aux abbés et aux communautés qu'il visite, ce qui lui paraîtrait moins authentique
dans leur façon de vivre ou de penser, ou ce qui s'écarterait par trop de
l'idéal bénédictin, qui est au cœur de la "scola caritatis" créée
par nos Pères.
Pour remplir cette tâche efficacement,
au cours des Chapitres Généraux qu'il préside, il fera partager par les supérieurs
l'expérience des communautés qu'il aura acquise, stimulant
ainsi leur intérêt en élargissant l'horizon de leurs réflexions.
En visitant les communautés,
et de préférence celles qui auraient le plus besoin de son aide et de ses
encouragements, il fera participer les moines à la vie de l'Ordre : dans la
peine avec ceux qui sont dans la peine, se réjouissant avec ceux que la grâce
favorise.
Il est souhaitable que l'Abbé
Général assiste aussi à quelques réunions régionales qui s'annonceraient plus
significatives par la portée de leur programme. Occasions de rencontres amicales
avec des abbés rassemblés, il y prendra connaissance des orientations qui
s'y font jour. Ces multiples relations l'aideront dans la préparation des
réunions de conseil général et des Chapitres Généraux.
Il sera le garant de la volonté de l'Ordre de rester en étroite
communion avec la vie de l'Église, et c'est dans cet esprit qu'il entretiendra
les relations avec le Saint-Siège, avec les Évêques et les autres Ordres religieux.
Abbés, moines et moniales témoigneront à son égard
des sentiments de respect et d'affection que lui méritent d'aussi lourdes
responsabilités : le poids de toutes les églises de Notre Dame de Cîteaux.
L’essentiel de cette compréhension
du rôle de l’Abbé Général qu’on trouve dans cette description de 1974 du rôle
de l’Abbé Général passa dans le texte de nos Constitutions rédigées à Holyoke
(1984) et El Escorial (1985), puis à Rome (1987) et approuvées par le Saint
Siège (1990)
Lors de l’élection de
Dom Bernardo en 1990 une réflexion en commissions, comme celle de 1974, ne
s’est pas produite, même si elle fut demandée par certains aussi bien à la
réunion des Commissions Centrales à Cardeña en 1989 qu’au Chapitre Général
même. On jugeait sans doute qu’on en avait suffisamment
parlé dans les Conférences Régionales. Ce qui était peut-être vrai au moins pour certaines
Régions.
La situation de l’Ordre
ayant considérablement évolué depuis 1990, il serait urgent de réfléchir de
nouveau en 2008 sur le rôle de l’Abbé Général comme nous l’avons fait de façon
très élaborée durant le Chapitre Général de 1974. Évidemment, il serait bon que cette réflexion
se fasse d’abord dans les Régions. Il
y aurait lieu de faire le point sur la situation actuelle de l’Ordre, avec
ses forces et ses faiblesses, ainsi que ses défis.
On pourrait ensuite étudier l’évolution des diverses structures de
l’Ordre depuis Vatican II et de leurs interactions (Pères Immédiats, Visites
Régulières, Conférences Régionales, Commission Centrales, etc.). Ce n’est qu’après qu’on pourrait, comme en 1974,
décrire le rôle que l’on voudra confier au prochain Abbé Général.
Question de durée du mandat
En annonçant la démission
qu’il entend présenter au prochain Chapitre, Dom Bernardo a soulevé la question
de la durée du mandat de l’Abbé Général. Un coup d’œil sur l’évolution de
la législation à ce sujet peut nous éclairer.
Nous avons eu neuf Abbés
Généraux depuis 1892, l’Abbé Général actuel étant le 9ème. Cela donne donc jusqu’à maintenant une moyenne
de 12,7 années en charge. Sur les 9 Abbé Généraux, quatre sont morts en charge,
quatre ont démissionné et un est toujours en charge mais a annoncé sa démission.
Jusqu’en 1971 l’Abbé Général
était élu à vie. L’abbatiat à vie pour les abbés locaux avait été supprimé
au Chapitre de 1969, et avait été remplacé par l’abbatiat ad tempus
(i.e. ad tempus non definitum, la possibilité d’un abbatiat ad tempus
definitum étant laissée à l’étude du Chapitre de 1974). Les raisons en faveur d’un mandat « non
definitum » pour l’abbé local ne valant pas nécessairement dans le
cas d’un Abbé Général, une légère majorité de 38 vs 36 votèrent en 1971 en
faveur d’élire l’Abbé Général ad tempus definitum. Mais comme on n’avait pas la majorité requise
des deux tiers, on se rabattit sur le tempus non definitum.
La question fut quand
même de nouveau débattue en 1974, avant l’élection de Dom Ambrose. De nombreuses
possibilités furent envisagées dans les commissions du Chapitre Général (comme
elles l’avaient été dans les Conférences Régionales). Il fut impossible de
savoir lesquelles de ces possibilités étaient appuyées par un plus grand nombre
de Capitulants, car tout fut réglé par un seul vote préliminaire demandant
si l’on voulait changer la législation votée en 1971. Une très grande majorité
vota pour changer cette législation (49 vs 30 et 1 abstention)... mais il
manquait quelques voies pour atteindre les deux tiers. On en resta donc à
l’abbatiat ad tempus non definitum même si presque les deux-tiers des
Capitulants désiraient l’autre solution. (Après son élection Dom Ambrose annonça
que, par respect pour la majorité des Capitulants il demanderait « un
vote de confiance lors du deuxième chapitre qui suivra celui de 1974 ».
Ce qu’il fit.
Dom Bernardo ayant explicitement
ouvert la question à Assise, il y a lieu d’en réétudier tous les aspects.
Scourmont, 1 avril 2006
Armand Veilleux
[1] Les liens prévus par la Carta Caritatis entre l’abbé de la maison-mère
et l’abbé de ses fondations sont des liens de charité et de sollicitude
pastorale. Dans les cas où ces liens impliquent l’exercice d’une autorité
(par exemple déposition d’un abbé), il s’agit d’une autorité déléguée par
le Chapitre Général.
[2] « Les pouvoirs de l’abbé
de Cîteaux aux XIIe et XIIIe siècle » dans Analecta cisterciensia,
T. 24 (1968), pp. 47-85 « Les pouvoirs de l’abbé de Cîteaux aux XIIe
et XIIIe siècle »
[3] Voir Dom Vincent
Hermans, Commentarium cisterciense historico-practicum in codicis canones
de Religiosis, Rome 1961, p. 113.
[4] Déjà en 1892 le Saint Siège aurait voulu d’un Supérieur Général comme ceux
des Instituts religieux centralisés; mais
les Capitulants restèrent fidèles à l’esprit des premiers siècles de l’Ordre
et confièrent à leur Abbé Général un rôle correspondant à celui qu’il avait
eu dans le passé. Voir Dom Vincent Hermans, “ L'Abbé Général et les Cisterciens
Réformés”, dans Analecta cisterciensia,
T. 24 (1968), pp. 119-142.