Le
huitième mort de Tibhirine
Il y a quelques mois
(8 février 2007) paraissait simultanément aux éditions Tatamis en France et en
Algérie un livre signé par Rina Sherman et intitulé Le huitième mort de Tibhirine. L’auteur se présente comme la
compagne de Didier Contant. Elle n’a pas inventé le titre de son livre. L’expression
« huitième mort de Tibhirine » avait déjà été employée par un
journaliste algérien du Quotidien d’Oran, MOUNIR B., tout de suite après la
mort de Contant, avec les mêmes allégations que celles qui sont plus largement
développées dans ce livre.
Rappelons
que Didier Contant qui avait été autrefois le directeur de l’agence GAMMA, se
présentait comme un journaliste du journal Le
Figaro, mais était en réalité un pigiste vendant éventuellement ses textes
à ce journal. Son départ pour l’Algérie
tout juste après la présentation de la « plainte » déposée par la
famille Lebreton et moi-même pour demander l’ouverture
d’une enquête judiciaire sur la mort des moines avait
quelque chose de suspect. Nous avons de bonnes raisons de penser que son but
était de décrédibiliser le témoignage d’un des témoins importants, Abdelkader
Tigha. Toujours est-il que, peu de jours
après son retour à Paris il se suicidait le 15 février 2004.
Sherman
parle de « suicide maquillé » (p. 151), laissant planer des doutes
sur le fait que ce fût un vrai suicide.
Or l’enquête faite avec soin par la Brigade criminelle de Paris ne
laisse aucun doute. Après s’être jeté du
balcon du sixième étage il tomba sur le balcon de l’étage inférieur puis il se
précipita de nouveau dans le vide malgré que les personnes présentes à cet étage
aient essayé de le retenir. N’allant pas
jusqu’à affirmer qu’il a été poussé dans le vide, l’auteur développe une autre
thèse selon laquelle il aurait été poussé
à ce suicide par les machinations de deux journalistes de Canal Plus qui
mettaient en doute ses affirmations.
Cette thèse, jamais prouvée mais répétée sur quelques centaines de pages
n’a aucun fondement.
L’autre
aspect de cette « thèse » est que ces journalistes appartiendraient à
un « lobby » international opposé à l’Algérie. Ici l’auteur répète simplement – et même dans
un style qui détonne avec le reste du livre -- toute une série de slogans
répétés depuis des années dans la presse algérienne contrôlée par le régime en
place selon laquelle quiconque met en cause les abus du pouvoir a pour but de
blanchir les islamistes radicaux.
De
nombreux témoins interrogés par la brigade criminelle après le suicide de Contant
révélèrent qu’il était dans un état psychologique très instable les jours
précédents, pour des raisons aussi bien d’ordre sentimental que
professionnel. De plus, malgré son
penchant de toujours pour les enquêtes policières, il venait de découvrir qu’il
s’était embarqué dans quelque chose qui le dépassait. Le dossier de la Brigade
criminelle dit explicitement que lors de son dernier entretien avec Me
Bénédicte Litzler, son avocate, il lui avait confié
que « il avait compris qu’il avait été entièrement manipulé par l’armée
algérienne ».
Ce livre
n’apporte rien de nouveau. Derrière l’auteur,
sans doute sincère et bien-intentionnée, se voit facilement la manipulation des
services secrets algériens. La parution de ce livre à ce moment-ci – pas plus
que la reprise des « pèlerinages » à Tibhirine -- n’est étrangère ni
à l’instruction en cours sur la mort des moines, ni à l’équilibre des rapports
entre l’Algérie et la France à l’approche d’une élection présidentielle et d’élections
législatives en France. Elle n’est pas étrangère non plus aux difficultés créées
à Abdelkader Tigha, qui doit être refoulé ces jours-ci vers les Pays-Bas d’où
il avait dû s’enfuir il y a trois pour ne pas être refoulé vers l’Algérie.
Parler
de « huitième mort de Tibhirine » dans ce contexte est en quelque
sorte une insulte à nos Frères. De fait,
il y a eu une « huitième » victime de Tibhirine. Ce fut Monseigneur
Claverie, éliminé parce qu’il en savait trop.
Encore
une fois, un livre de trop sur Tibhirine.
4 mai 2007
Armand VEILLEUX